La Nouvelle idole (François DE CUREL)

Pièce en trois actes.

Représentée pour ta première fois, à Paris, au Théâtre Antoine, le 11 mars 1899.

 

Personnages

 

ALBERT DONNAT

MAURICE CORMIER

DENIS

BAPTISTE

LOUISE DONNAT

ANTOINETTE MILAT

JEANNE LEJEUNE

EUGÉNIE

 

La scène se passe à Paris, en 1893.

 

 

ACTE I

 

Chez Louise. Petit salon très élégant.

 

 

Scène première

 

LOUISE, JEANNE

 

Louise, en peignoir et pas encore coiffée, écrit. Jeanne arrive de dehors en toilette de matin, très simple. Ce sont deux femmes d’environ vingt-huit ans.

LOUISE, à l’entrée de Jeanne, se retourne, surprise, et ferme son buvard sur la lettre qu’elle écrirait.

Tiens !... Déjà levée, Jeanne ?...

L’embrassant.

Bonjour !... C’est pour chercher un compliment que tu viens de si bon matin ?

JEANNE.

Un compliment ?

LOUISE.

Eh bien !... et le discours de Paul, hier, à la Chambre ?... Ah ! il leur en a dit, des vérités. Le jour du grand nettoyage, c’est ton mari qui tiendra le balai...

Lui faisant la référence.

Madame la Présidente du Conseil !... Et puis, plus tard, qui sait ?... Hein, si j’étais belle-sœur du...

JEANNE, tristement.

Vois-tu, Louise ,ne pensons pas à ces splendeurs...

LOUISE.

Quelle figure d’enterrement !... Vous arrive-t-il quelque chose ?

JEANNE.

À nous, rien ; mais...

LOUISE.

Je respire !... Dame, par le temps qui court !...

JEANNE.

Tu as lu les journaux, puisque tu es si bien renseignée sur l’éloquence de Pau !... Rien d’autre ne t’a frappée ?

LOUISE.

Je n’ai pas ouvert un journal... C’est Albert qui, tout à l’heure, avant de sortir, m’a mise au courant. Il était plein d’enthousiasme pour son beau-frère !

JEANNE.

Il ne semblait pas préoccupé ?

LOUISE.

Très calme, comme à son ordinaire.

JEANNE.

Il est à l’hôpital ?

LOUISE.

Le matin, toujours.

JEANNE.

Fais-le chercher... Vite !

LOUISE.

Tu es folle !... S’il s’agit d’un malade...

JEANNE.

Il s’agit de lui seul.

LOUISE.

Tu demandais s’il avait l’air préoccupé ?...

JEANNE.

Il a sujet de l’être, je t’assure... Tiens, ne perdons pas de temps.

LOUISE.

Sonne, veux-tu ? pour qu’on attelle... Mais je perds la tête ! Il a pris la voiture !... J’y pense !... Il m’a quittée annonçant qu’il reviendrait de bonne heure pour recevoir quelqu’un.

JEANNE.

Tu ne sais pas qui ? 

LOUISE.

Non. Qui crains-tu que ce soit ?

JEANNE.

Personne !... On nous a formellement promis de n’envoyer personne encore.

LOUISE.

Je t’en supplie !...Je ne sais rien, je ne comprends rien, tu me fais mourir à petit feu !

JEANNE.

Ma pauvre chérie, tout s’arrangera... Dans ce monde, tout s’arrange !... Enfin, pour le moment, Albert est menacé d’une enquête... Ce matin, les journaux y font allusion sans le nommer, mais ce soir... demain, ce sera la grande nouvelle... Le scandale du jour !...

LOUISE.

Que peut-on reprocher à un homme dont la science remplit toute la vie ?... Sa clinique, ses internes, son cours à l’École de médecine, ses ouvrages, on ne peut pas le tirer de là...

JEANNE.

Ah ! science maudite !... C’est justement elle qui le perd... On l’accuse d’avoir fait servir ses malades à des expériences.

LOUISE.

Et parce qu’un journal dit cela, tu admets, sans l’ombre d’un doute, que ton beau-frère est un criminel !... Albert est un des premiers savants de son époque, la plus pure gloire de la France ! Quand nous voulons jeter des noms à la face de l’étranger, on cite Pasteur et, tout de suite après, Albert Donnat. N’importe ! On invente une stupide histoire et, demain, la bande des médiocres fêtera la chute d’un grand homme ! Sous quel triste régime de délations nous vivons ! Paul, quelle est son opinion ?... Il ne se méfie pas d’un chantage ?

JEANNE.

C’est la première idée qui lui soit venue.

LOUISE.

Eh bien ?...

JEANNE.

Le préfet de police sort de chez nous.

LOUISE.

Après le discours d’hier !...

JEANNE.

Innocente !... Plus on les étrille... Il y a contre ton mari des charges tellement nettes que l’on ne peut éviter de faire une perquisition dans votre appartement, ce soir, vers quatre heures... pas avant. D’ici là, nous mettrons en lieu sûr toutes les pièces compromettantes : carnets d’observations, résultats d’expériences, etc...

LOUISE.

Puisqu’on cherche des preuves, il reste donc un espoir que ce soit une calomnie ?...

JEANNE.

Chercherait-on des preuves si l’on n’en avait pas déjà ?... La perquisition fait partie d’un cérémonial bruyant qu’il ne faut pas prendre au tragique. Les escamoteurs parlent toujours beaucoup, à la minute même où ils font passer la muscade sous les yeux du public. Paul est chez le directeur de l’Assistance pour veiller aux indiscrétions du personne !...

LOUISE.

Ses expériences... de quelle nature ?...

JEANNE.

Ton mari a inoculé le cancer à de pauvres diables.

LOUISE.

Mais j’ai entendu dire à Albert que le cancer ne s’inoculait pas.

JEANNE.

Il vient, paraît-il, de découvrir un microbe dont certaines cultures exaspèrent la virulence et qui donne l’affreuse maladie. Ses admirateurs, car il en a, prétendent que bientôt le cancer se guérira facilement grâce à un vaccin que Ion mari est en train d’étudier.

LOUISE.

Alors pourquoi persécuter mon mari ? Il devrait être aussi glorieux que Pasteur !

JEANNE.

Pasteur a vaincu la rage sans la communiquer à personne. En ce moment, quinze ou vingt misérables sont affligés de tumeurs mortelles qu’Albert a provoquées.

LOUISE.

N’est-ce pas une calomnie ?... Ce serait tellement criminel !...

JEANNE.

Paul assure qu’on ne peut garder aucun doute.

Un silence.

LOUISE.

Dire qu’au commencement de mon mariage j’ai tant souffert à cause de cet homme !

JEANNE.

Oui, je t’ai vue jalouse, jalouse de sa science !... J’avais beau te prêcher qu’une femme habile doit, au contraire, encourager son mari à se créer des occupations, tu ne voulais rien entendre. Pourtant tu voyais avec quelle persévérance je maintenait Paul dans la politique. Il est vrai que ses préoccupations électorales ne l’empêchaient pas d’être aux petits soins pour moi. Dame, j’ai eu de la chance !

LOUISE.

J’en ai dans mon malheur ! Albert n’a pas voulu comprendre à quel point je me donnais entièrement à lui. Mon affection lui faisait-elle peur ? L’accusait-il de voler du temps à ses chères études ? Ou bien trouvait-il humiliant de tomber, lui si grand, avec ses espoirs de prodigieuses découvertes, aux pieds d’une ignorante ? En tout cas, nous partageons la même chambre, nous n’avons qu’un lit, nous sommes ce qu’on appelle un excellent ménage, et, en réalité, Albert m’est aussi étranger que cet homme, tiens, là, qui marche sur le trottoir d’en face. Et voilà pourtant ce que j’en suis réduite à décorer du nom de chance !

JEANNE.

C’en est tout de même un peu, car tu serais dans une vilaine passe s’il y avait entre Albert et toi une union comme entre Paul et moi, par exemple.

LOUISE.

Évidemment, mon cœur n’est pas atteint... J’ai pourtant la sensation d’un écroulement au dedans de moi-même...J’estimais hautement mon mari... L’austérité dé sa vie, la tension perpétuelle de son intelligence vers un noble but : soulager l’humanité souffrante, lui rendre la douleur physique moins atroce... car la douleur morale...

Elle fond en larmes.

la douleur morale, il l’a eue sans cesse à ses cotés depuis dix ans, et il ne s’en est pas douté... Tu n’as pas su toi-même à quel point elle était profonde !... Ah ! laisse-moi pleurer : c’est mon droit, maintenant !... Je suis fière d’avoir été malheureuse auprès de ce monstre !

JEANNE.

Louise !... Non, pas d’injures !... Un monstre ?... Bah !... Un simple ambitieux... Paul l’a dit tout de suite : c’est l’ambition qui lui joue ce mauvais tour !... En pareille matière, on peut accorder à Paul qu’il s’y connaît... Et puis, n’exagérons rien... Tu n’avais pas l’air tellement à plaindre auprès de ce monstre...

LOUISE.

Son orgueil m’écrasait, mais il s’inclinait vers les humbles avec tant de douceur !... comment me révolter ?... Je n’étais pour lui qu’un point dans la foule, mais n’y avait-il pas un peu d’ingratitude à me plaindre d’y être mêlée, quand il dépensait ses forces, jour et nuit, au service des foules ?... À ne juger que sur les apparences, sais-tu qu’il était souvent admirable ?... Je l’ai vu, pendant des épidémies, gai, tranquille, d’une sérénité vraiment superbe... J’attribuais ce rayonnement d’audace heureuse au sentiment qu’il avait d’être utile et bienfaisant.

JEANNE.

Pourquoi pas ?... En somme, il y a de beaux traits dans son passé... Par exemple, quand il a gagné la diphtérie en opérant une petite gueuse...Je me rappelle un certain soir où on le croyait perdu... explique les choses comme tu voudras, tu étais joliment triste.

LOUISE.

Cette fois-là, oui. je l’ai soigné de tout cœur !... Au nom fies malheureux, j’essayais de lui rendre le bien qu’il avait fait.

JEANNE, souriant.

En ton nom un peu aussi, je pense ?

LOUISE.

C’est possible... du moins pendant les deux ou trois jours qu’a duré le danger... À peine sauvé, il a eu vite fait de me remettre aux pieds de son génie... Avait-il seulement remarqué mon zèle ?... Les hôpitaux fourmillent d’infirmières plus habiles que moi... Il n’avait pas deviné l’âme !... Dieu merci !... Tu as raison : c’est un bonheur qu’un attachement sérieux ne me retienne pas prisonnière. L’affreuse nouvelle que tu viens de m’apprendre est tout bonnement l’annonce d’une délivrance !

JEANNE, effrayée.

Louise !

LOUISE.

Je suis parfaitement résolue à être libre désormais !... Je ne le subirai plus...

JEANNE.

Rien de plus juste ! Tu n’aimes pas ton mari, tu n’as pas d’enfants... L’occasion est propice... Pousse le verrou, et dors en paix !...

LOUISE.

Me murer vive ?... Une délivrance originale !... Albert mérite la prison et c’est à moi qu’on l’offre ! Bien obligée, ma chère ! je n’ai pas encore dit adieu à tout espoir d’être heureuse en suivant les inspirations de mon cœur.

JEANNE, très émue.

Miséricorde, Louise, il ne manquait plus que cela ! Si je comprends bien, tu aimes quelqu’un ?...

LOUISE.

Oui, j’ai une inclination...

JEANNE.

Mais alors, ce n’est pas la peine de nous donner tant de mal pour tirer Albert du guêpier où il s’est fourré... Tu bouleverseras tout !

LOUISE, étonnée.

Moi ?

JEANNE, suivant son idée.

Songe donc aux conséquences d’un divorce !... Divorcer, c’est manifester d’une manière éclatante que tu crois ton mari coupable !... C’est son honneur, celui de toute la famille, traîné dans la boue !... C’est la situation de Paul ébranlée... Avec ce qu’il a d’ennemis, tu penses !... Ma chérie, nous avons toujours été deux sœurs parfaites... Au fond, il n’y a encore que ces liens-là... Avoir grandi dans des berceaux voisins, habillé les mêmes poupées, cuisiné les mêmes dînettes... Qui donc se parlerait à cœur ouvert si ce n’est toi et moi ?... Louise, je t’en supplie, fais cela pour nous, ne divorce pas !

LOUISE.

Où prends-tu que je veuille divorcer ?

JEANNE, très heureuse.

Comment ! tu ne... Dame ! tu annonces coup sur coup que tu as une inclination dans le cœur et que tu es libre... Alors, le divorce ?... Nous en avions si peur !... Je n’ai vu que ça !... Hein ?...

LOUISE.

Je n’ai pas regardé si loin... Il y a une heure, je me croyais encore enchaînée pour la vie !

JEANNE.

C’est vrai !... Il ne faut rien brusquer... Ta vie s’organisera peu à peu... Bien sûr qu’Albert, après une pareille alerte, ne sera pas un homme difficile à mater...

Un silence.

Louise, donne-moi une preuve de confiance... Qui est-ce ?

LOUISE.

Maurice Cormier.

JEANNE, avec découragement.

Encore un savant !... Est-ce que tu n’en as pas assez, de la science ?

LOUISE.

M. Cormier s’est beaucoup occupé de psychologie, c’est-à-dire des choses de l’âme... C’est celui des jeunes philosophes qui a la réputation de savoir le mieux ce qui se passe en nous. Avec lui, du moins, une femme ne souffrirait pas pendant des années sans que son compagnon s’en aperçoive.

JEANNE.

Il donnera tan nom grec à ta souffrance... D’ailleurs, un garçon correct, distingué et pas mécontent de lui... Un bon ensemble... C’est égal, si j’avais à disposer de ma personne, ce n’est pas ton psychologue qui m’ensorcellerait...

LOUISE.

Aimant ton mari comme tu l’aimes, tu es mal placée pour juger...

JEANNE.

Moi, hier – aujourd’hui, je lui en veux trop ! – hier, j’aurais préféré Albert. Il est beaucoup plus célèbre que l’autre, et, comme intelligence, infiniment supérieur, je crois... D’abord, n’est-ce pas en venant faire corriger ses travaux par ton mari que M. Cormier s’est introduit chez vous ?

LOUISE, avec un sourire hautain.

Corriger, pas tout à fait... Il y a quatre ans, Maurice est venu se renseigner auprès d’Albert, à l’époque où il écrivait son grand ouvrage : la Personnalité sous-consciente. Maurice n’est pas médecin, et il craignait d’expérimenter sur les névrosées qui sont ses sujets habituels, sans avoir auprès de lui un docteur. Albert est allé l’assister plusieurs fois... De là notre intimité.

JEANNE.

C’est un préjugé, mais l’idée qu’on risque d’avoir un petit enfant de l’homme qui a écrit : la Psychologie du fœtus... Brrr !...

LOUISE.

Voyons, méchante, est-ce que j’en suis là ? Je ne sais même pas encore si j’éprouve un penchant bien sérieux pour lui. Je me promets seulement une félicité délicate à l’entendre analyser mes peines, rien de plus.

JEANNE.

Ce bon M. Cormier, avec sa psychologie, remarque-t-il au moins l’impression qu’il produit ?

LOUISE.

Non... J’ai toujours été très prudente.

JEANNE.

Enfin, il a posé sa candidature ?

LOUISE.

Depuis longtemps il me témoignait une grande amitié, parfaitement respectueuse... Hier, pour la première fois, il m’a mise dans l’embarras...

JEANNE.

Ah ! c’est hier qu’il a brûlé ses vaisseaux ?... Voyez-vous le malin !... Car, dans le milieu qu’il fréquente, on a dû savoir au moins un jour avant le public la débâcle probable de ton ménage... Un bon point pour la psychologie !

LOUISE.

Simple coïncidence, je t’assure...

JEANNE.

Tu t’es montrée inflexible ?

LOUISE.

En veux-tu la preuve ?... Lis la lettre que j’écrivais quand tu es entrée. Elle ordonne à Maurice de ne jamais revenir chez moi...

Louise va chercher une lettre dans ton bâtard. Pendant que Jeanne lit.

Ai-je l’air d’implorer une désobéissance ?

JEANNE, rendant la lettre.

Rien à lire entre les lignes : un coup de tranchet !

LOUISE, déchirant la lettre.

C’est trop beau !... Voilà ce que j’en fais !

 

 

Scène II

 

LOUISE, JEANNE, BAPTISTE

 

BAPTISTE.

Une jeune fille demande à voir Monsieur... Elle prétend qu’elle le connaît bien, ayant été dans son service à l’hôpital, et qu’il lui a donné rendez-vous pour ce matin.

LOUISE.

Je n’y puis rien. Qu’elle revienne.

BAPTISTE.

Elle a une lettre de Monsieur...

JEANNE.

Tu m’as dit qu’il attend quelqu’un...

LOUISE.

C’est vrai. Monsieur va rentrer... Qu’elle reste» à tout hasard...

BAPTISTE.

Bien, Madame.

Il sort.

JEANNE.

Soignée par ton mari, à l’hôpital... Pourquoi la convoquer ici, et pas à sa clinique ?...

LOUISE.

Il ne fait jamais cela pour personne. Serait-ce une malheureuse sacrifiée par lui ?... Ah ! mais, s’il a intérêt à la cacher, moi, j’aurais tort de ne pas la voir !...

Elle sonne. Baptiste rentra aussitôt.

Baptiste, priez cette personne de venir.

Il sort.

Je n’aurai pas à me reprocher d’admettre sans examen l’infamie d’Albert.

 

 

Scène III

 

LOUISE, JEANNE, ANTOINETTE

 

Antoinette est une jeune fille de dix-huit ans, très frêle, qui serait jolie sans sa pâleur et son air maladif. Elle est en petit bonnet blanc et pèlerine bleue : costume d’orphelinat. Excessivement  intimidée d’abord, elle s’apprivoise rapidement.

ANTOINETTE.

Il m’a écrit d’être ici vers dix heures.

LOUISE.

Il est si distrait !... Dans le cas où il vous aurait oubliée, n’avez-vous rien à lui faire dire ?... Je m’en chargerais volontiers.

ANTOINETTE.

Madame est trop bonne...

LOUISE.

Il s’agit d’une simple consultation ?

ANTOINETTE.

Oui, Madame.

LOUISE.

Vous avez été dans le service de M. Donnat ?

ANTOINETTE.

Oui, pour une maladie de poitrine.

LOUISE.

Vous allez mieux ?

ANTOINETTE.

Beaucoup mieux. Notre médecin de là-bas ne pouvait en croire ses yeux. Si cela continue, à la fin de l’année on m’admettra au noviciat.

LOUISE.

Vous êtes dans une maison religieuse ?

ANTOINETTE.

Oui. Un orphelinat, près de Chartres... Je m’appelle Antoinette Milat. Toute petite, je suis restée sans parents et Mme la comtesse de Cernay, chez laquelle ma mère avait été femme de chambre, m’a placée là.

LOUISE.

Ainsi, vous serez religieuse ?

ANTOINETTE.

Si ma guérison se maintient... Il faut qu’une sœur soit forte... S’occuper des enfants, veiller les malades...

LOUISE.

Vous venez de Chartres exprès pour voir mon mari ?

ANTOINETTE.

Oui, Madame.

LOUISE.

Vous avez grande confiance en lui ?

ANTOINETTE.

Ah ! bien, vrai, si je n’avais pas confiance !... Demandez un peu dans quel état j’étais quand on m’a conduite à l’hôpital... Personne ne pensait que j’en réchapperais... M. Donnat pas plus que les autres... Une fois, qu’il me croyait sans connaissance, il a dit à un interne que j’en avais pour deux ou trois jours... Alors, j’ai demandé les sacrements...

LOUISE.

Et tout de même il vous a tirée d’affaire ?

ANTOINETTE.

Il est si savant, et, avec cela, bon et patient... Bien des sœurs ne sont pas si douces que lui.

 

 

Scène IV

 

LOUISE, JEANNE, ANTOINETTE, ALBERT

 

ANTOINETTE, à la vue d’Albert, poussant un cri de joie.

Monsieur le docteur !...

Il lui tend la main, qu’elle prend dans les deux siennes.

ALBERT.

Ma petite Antoinette ! À la bonne heure !... Elle est exacte !...

Regardant sa femme. À Antoinette.

On vous a fait entrer ici ?

LOUISE, avec embarras.

Oui, je...

ALBERT, froidement.

Bien ! bien !...

Serrant la main de sa belle-sœur.

Bonjour, Jeanne.

JEANNE.

Albert, deux mots, s’il vous plaît.

ALBERT.

Parfaitement.

Louise et Antoinette se retirent sur un regard d’Albert, et causent à l’écart.

Alors ?...

JEANNE.

Vous savez ce qu’on dit ?

ALBERT.

Mon fameux crime !... Est-ce pour me demander si je l’ai réellement commis ?... Bien de plus vrai. Vous voyez

Montrant Antoinette et sa femme.

ce petit espionnage pouvait être évité.

JEANNE.

N’allez pas reprocher aux vôtres leur anxiété !... Cette enfant s’est annoncée comme sortant de votre service. Nous avons été effrayées... La laisser répondre aux questions des domestiques...

ALBERT, souriant.

Aux vôtres, qu’a-t-elle répondu ?

JEANNE.

Qu’elle vous vénère !... Quant à la vérité, je n’avais besoin ni d’elle ni de vous pour en être instruite... Nous avons vu le préfet de police, et je vous apporte des renseignements bons à noter.

ALBERT.

Mes notes sont prises... Je viens de rencontrer votre mari à la porte du directeur de l’hôpital... Paul est vraiment bien pour moi dans cette affaire... Du reste, je me défiais, et, dès hier matin, j’étais allé prier un de mes amis déprendre chez lui certains papiers, dangereux à garder ici... Il viendra les chercher avant midi. C’est Maurice Cormier, vous savez, ce jeune homme avec lequel j’ai publié un travail sur l’hypnotisme.

JEANNE.

Je le connais...

Souriant.

Il a une qualité, c’est la discrétion ; car une personne qui lui a parlé de vous hier dans la journée ne s’est pas doutée que vous l’aviez vu dans la matinée.

ALBERT.

Quelle personne ?

JEANNE.

C’est insignifiant... Alors, dites, tout s’arrangera ?

ALBERT.

Oui, j’ai les meilleures assurances.

JEANNE.

Ainsi vous êtes tranquille ?

ALBERT.

Complètement.

JEANNE.

Et votre conscience ?

ALBERT.

Elle et moi ne faisons qu’un.

JEANNE.

Tant pis pour elle !

ALBERT, montrant Antoinette.

Chère amie, voyez cette enfant. Elle est phtisique Jusqu’à là moelle des os, et n’ira pas jusqu’au printemps... Supposez que je lui aie inoculé un mal épouvantable, toujours mortel, supposez que, grâce à cela, j’arrive à préserver des mères de famille, des personnes robustes et utiles... ou plutôt ne supposez pas : c’est fait !... Franchement, suis-je bien coupable d’étudier dans ce pauvre petit corps, condamné à une dissolution prochaine, le secret qui va sauver des générations entières ?

JEANNE.

Ce pauvre petit corps semble encore vivace... Il peut résister... se guérir... et alors...

ALBERT.

Vous ne savez pas ce que vous dites... Je connais mon métier, n’est-ce pas ?... Irrévocablement perdue !...

JEANNE.

Mais vous n’êtes pas infaillible !... Vous parlez comme un dieu !... Imaginez que cette fille guérisse de sa maladie de poitrine, et reste avec une horrible plaie, fatalement mortelle, infligée par vous ?

ALBERT.

Je n’aurais plus qu’à me casser la tête.

JEANNE.

Albert !... Est-ce qu’on dit ces choses-là ?

ALBERT.

On les fait !... Si j’avais tué cette petite !... L’être le plus exquis !... en qui tout est bonté, piété, tendresse !... Elle a pour moi un véritable culte, mais si loin des passions vulgaires ! Elle m’adore parce qu’elle se figure que je sers les desseins de la Providence en soulageant des maux. L’admiration qui fait étinceler ses yeux dès que je parais est peut-être la plus glorieuse récompense qu’il m’ait été donné de connaître. Et vous osez supposer qu’à la légère je risquerais d’éteindre cette flamme ! Hélas ! je sais d’avance, à une heure près, la date où elle doit cesser de luire.

JEANNE.

Vous avez en votre jugement une confiance aussi naïve que la foi du charbonnier... Avant de m’en aller, un petit conseil... Louise, quoique bien fâchée, ne songe pas à s’éloigner de vous... Il est possible qu’il lui échappe des expressions un peu vives... Ne les relevez pas... et je réponds de tout. Restons une famille unie.

ALBERT.

Allons, Jeanne, vous êtes une bonne femme !

Il lui serra la main.

JEANNE.

Au revoir.

Jeanne rejoint Louise, et toutes deux se disposent à sortir ensemble.

ALBERT.

Non, Louise, ne t’en va pas.

JEANNE.

Je vous laisse.

Elle sort.

 

 

Scène V

 

LOUISE, ANTOINETTE, ALBERT

 

ALBERT, prenant sa femme à part.

Tu as cherché à voir cette fille pour la questionner, eh bien ! tu vas assister à la consultation.

Geste hésitant de Louise.

Si, si, je le veux ! Laisse-moi l’examiner ici, devant toi... Je ne crains pas ton jugement, ni celui de personne... Pourvu qu’on sache...

Allant à Antoinette.

Mon enfant, cela ne vous gêne pas que ma femme assiste à notre entretien ?...

Regard affectueux d’Antoinette. Louise s’assoit dans un fauteuil. Albert prend Antoinette par les deux épaules, avec une amicale brusquerie, et lui tourne le visage vers la lumière.

Eh ! mais... Nous avons beaucoup meilleure mine... Un peu engraissée... De bons yeux, pas trop brillants... On dort bien ?

ANTOINETTE, joyeusement.

Comme une marmotte.

ALBERT.

On mange ?

ANTOINETTE.

Tout va mieux... Infiniment mieux...

ALBERT.

Diable !... Je vais vous ausculter... Tenez, ma petite, ôtez votre corsage...

Pendant qu’Antoinette se déshabille, Albert continue à l’interroger.

Puisque vous êtes en si bon état, pourquoi m’écrire que vous êtes tourmentée... Hein ?...

ANTOINETTE, hésitant.

C’est comme un bouton qui ne veut pas percer...

Louise se lève et suit la conversation avec angoisse.

Oh ! à peine rouge... Moi, je n’y aurais pas fait attention, mais la sœur qui me pose des ventouses m’a conseillé de vous écrire. Je lui avais raconté que vous vouliez être prévenu de la moindre chose... C’est gentil, monsieur le docteur, d’avoir répondu si vite que je fasse le voyage à vos frais... Il y avait justement une occasion...La mère supérieure venait faire une retraite à notre maison de la rue de Sèvres... elle m’a emmenée...

ALBERT, allant à elle.

Pas tant d’histoires !... Où est-il, ce bouton ?...

Il se livre à un rapide examen.

Ça ne fait pas mal quand on appuie ?... Bien, je suis fixé...

Il revient et fait quelques pas dans la chambre, sans regarder Louise.

ANTOINETTE.

Ce n’est pas mauvais ?

ALBERT.

Non... Vous l’avez montré à votre médecin, là-bas ?

ANTOINETTE.

Oui, Monsieur. Il dit que c’est un bobo de rien.

ALBERT.

Il s’appelle Verdier, n’est-ce pas, votre médecin ?

ANTOINETTE.

C’est ça, Verdier.

ALBERT.

Je le connais ; il a été mon interne.

ANTOINETTE.

Oh ! quand il parle de son maître !... Il vous admire tant !

ALBERT, ironique.

Bien obligé !...

Revenant à elle.

Écoutons cette poitrine, maintenant...

Il l’ausculte longuement.

Respirez fort !... Plus fort, sacrebleu !... Toussez !... Toussez encore !

Il continue à l’ausculter avec une angoisse croissante.

Rien !...

Il se redresse et promène vaguement les veux autour de la chambre. Les ramenant tout à coup sur Antoinette.

Qu’avez-vous à

me regarder ainsi ?

ANTOINETTE.

C’est que... monsieur le docteur !... c’est que vous avez l’air furieux... Cela va donc plus mal ?

ALBERT, rudement.

Vous êtes guérie !

ANTOINETTE, joyeuse.

N’est-ce pas ?... Je me sens tellement renaître... et puis le médecin, les sœurs, tous ceux qui ont de l’expérience, le disent...

ALBERT.

Qu’avez-vous fait ?

ANTOINETTE.

Comment ?...

ALBERT, s’exaspérant.

Quel régime avez-vous suivi ? Quels remèdes avez-vous pris ?

ANTOINETTE.

Ceux que vous aviez ordonnés, monsieur le docteur ; et le régime aussi a été scrupuleusement suivi... Il n’y a qu’une chose...

ALBERT, avec emportement.

Laquelle, voyons ?

ANTOINETTE, tremblante.

Ne grondez pas, Monsieur... J’ai bu de l’eau de Lourdes, un peu, tous les matins...

Il lui tourne le dos, et fait deux ou trois fois le tour de la chambre. Antoinette le regarde, atterrée. Il revient presque menaçant sur elle.

ALBERT.

Allons, rhabillez-vous !

ANTOINETTE, achevant de s’habiller.

Monsieur, vous êtes terriblement en colère !... Je me repens d’avoir parlé de Lourdes... En entrant ici, j’hésitais encore... Et puis, quand vous avez dit : « vous êtes guérie !... » il m’a semblé que la sainte Vierge me trouvait ingrate... Je n’ai pas pu me taire... Et voilà qu’à votre tour, vous m’en voulez, bien sûr, de ne pas comprendre à quel point vous m’avez fait du bien.

ALBERT, distraitement.

Laissez donc !...Je pense à autre chose.

LOUISE, allant à elle.

Ma chère enfant, mes réflexions, à moi, sont, faites... Retournez à votre couvent, et prévenez la mère supérieure que j’irai la voir demain pour obtenir de vous garder quelque temps chez nous... Mon mari n’est pas fâché... Il vous aime bien et veut suivre de près votre guérison... Et ne craignez pas, lorsque vous vivrez près de moi, qu’on vous trouble dans votre confiance en Dieu... Priez-le, allez... Mettez tout votre espoir en lui !

ANTOINETTE.

Vous me croyez donc en danger, Madame ?

LOUISE.

Non. Ne vous tourmentez pas... Préparez-vous à venir loger à la maison, vous serez chez une amie !

Elle embrasse Antoinette sur le front et la pousse doucement dehors. Puis elle revient à pas précipités vers son mari.

 

 

Scène VI

 

LOUISE, ALBERT

 

LOUISE.

Assassin !

ALBERT, lentement.

Oui, je suis un assassin !

LOUISE.

Je ne sais pas de crime plus lâche !... Une pauvre petite, sans parents, sans personne pour la défendre !...

ALBERT.

Elle était mourante... J’avais tout essayé pour la sauver... Au point où elle en était, j’aurais renoncé à soigner une fille de roi... Je te jure, un médecin serait venu nous prédire une amélioration, nous l’aurions traité d’idiot !... J’expérimentais sur un cadavre... Je ne lui apportais ni un supplément de douleur, ni un regain d’angoisse ; la piqûre même que je lui ai faite pendant une syncope a passé inaperçue, et il fallait six mois pour que le nouveau mal devînt menaçant... Six mois ! L’éternité pour elle !...

LOUISE, ironique.

C’est dommage qu’elle ne veuille pas mourir !

ALBERT.

Eh ! je vois bien que je suis coupable, mais je le vois pour la première fois !... Ma sécurité était entière... Les gens comme moi, qui ont observé beaucoup d’agonies et qui réfléchissent, ne peuvent pas croire à une autre vie. Non, non, quand on voit chez des êtres intelligents s’en aller peu à peu l’esprit, la grâce, le sentiment, tout ce qui fait l’être humain, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus sur le lit de douleur qu’une pauvre brute stupide et vagissante, on a conscience d’assister à la dissolution lamentable d’une créature et non à son glorieux départ. Eh bien ! nous qui savons qu’après la mort il n’y a rien, nous avons Un tout autre respect de la vie qu’un fanatique, un croyant. Enlever, fût-ce par erreur, une minute à l’existence que guette le néant, nous paraît le plus grand des crimes. Aussi tu ne peux pas te figurer les précautions que je prenais pour qu’aucune de mes études né risquât d’abréger d’une seconde l’existence d’un malade... Je donnais toujours à l’agonie normale une avance telle que le plus souvent mon expérience, gagnée de vitesse, avortait...

LOUISE.

Pendant cette funèbre course entre la nature et l’art, tu faisais ton métier au chevet du misérable en prescrivant des remèdes... D’une main tu cherchais à le sauver avec la secrète terreur d’être trop habile, car l’autre l’avait frappé à mort.

ALBERT.

J’avais une confiance... ridicule, si tu veux, dans la sûreté de mon diagnostic.

LOUISE.

Tu es trop intelligent pour n’avoir passent ! qu’il y avait un risque... Un miracle pouvait survenir... La preuve, nous l’avons... Invoque l’hystérie, là suggestion, tout le cortège des misères nerveuses, il n’en reste pas moins établi qu’on voit des guérisons qui frappent de Stupeur les augures tels que toi... Il fallait compter sur un miracle !...

ALBERT.

Je n’en avais jamais rencontré...

LOUISE.

Les aurais-tu constatés par centaines, va, ta rage infernale de tout expliquer ne se serait pas déconcertée pour si peu !... Tiens, ne mens pas !... Ta véritable opinion, il n’y â pas deux jours, je t’ai entendu la soutenir pendant ce dîner à l’Élysée... Ta voisine, une femme sensible, te cherchait querelle à propos de la vivisection... Tu t’es fâché tout rouge... La vivisection !... Ah ! bien, oui !... Que sont les cris d’un chien qu’on écorche tandis que toute une humanité hurle de douleur et supplie qu’on la sauve ?... Pour lui porter secours, ce n’est plus l’angoisse d’un animal obscur qui te parais sait négligeable...

ALBERT.

J’ai dit que s’il est permis à un général de faire massacrer des régiments entiers pour l’honneur de la patrie, c’est un préjugé de contester à un grand savant le droit de sacrifier quelques existences pour une découverte sublime, comme celle du vaccin de la rage ou de la diphtérie... Pourquoi ne pas admettre d’autres champs de bataille que ceux où l’on meurt pour le caprice d’un prince ou l’extension d’un pays ?... Pourquoi n’y aurait-il pas de glorieux carnages d’où sortiraient vaincus les fléaux qui dépeuplent le monde ?... Le petit soldat, frappé d’une balle, qui râle au creux d’un sillon, souffre d’autres tortures que le malade anesthésié dont les dernières heures, habilement exploitées, conservent à la société des millions d’individus. Oui, j’ai défendu ces idée : là, et, malgré mon chagrin, je ne rétracte rien...

LOUISE.

Tout le monde riait autour de la table... Quel brillant causeur, ce Donnat ! Comme il manie le paradoxe !... Ils oubliaient, les imbéciles, que tu manies surtout de la chair à scalpel !... Ce sont tes exploits, grand capitaine, que tu racontais au sortir du carnage !... Et puis, parle, à présent, de ton chagrin... Il faut se réjouir, au contraire, puisque le virus agit, que l’expérience marche. Y a-t-il du bon sens à gémir sur cette jeune fille qui meurt pour ajouter une observation neuve aux trésors de ta science ?... Que sont les années prises à sa pauvre vie, les cris arrachés à sa souffrance, lorsqu’il s’agit d’une sublime découverte ?... La vérité, c’est que tes grands mots de science et d’humanité sont là pour orner d’une étiquette brillante ta misérable ambition. Cette fille est tuée pour ta gloire, pour que ta statue soit payée dans trente ans d’ici par un millier de philanthropes, pour qu’on inscrive ton nom sous la coupole de l’Institut. La vérité, c’est cela !

ALBERT, avec force.

Non !

LOUISE.

Mais ta douleur, si elle est sincère, le montre jusqu’à l’évidence !... Elle est un aveu !... Tu as beau supplier la science, la nouvelle idole qui opprime le monde, d’accepter ta sanglante offrande, elle affecte encore une prudente horreur... Tu n’avais le droit de lui offrir qu’une vie, la tienne !

ALBERT.

M’a-t-on jamais vu reculer devant le danger ?... Ai-je marchandé mon dévouement au plus pauvre, au plus abandonné ?... La diphtérie qui a failli m’emporter, je l’avais gagnée d’une mendiante, gibier d’hôpital et de bagne... Ai-je mis en balance avec cette existence infime la mienne que j’avais la faiblesse de croire précieuse ?... Ai-je compté pour quelque chose la gloire et les honneurs auxquels je disais adieu ?... Me suis-je laissé attendrir par l’idée de renoncer à l’amour et au bonheur ?... Car j’étais heureux auprès de toit... Qu’avait à gagner mon ambition dans ce péril et dans bien d’autres que j’affronte tous les jours ?... Je risque ma vie, parce qu’il n’y a qu’une chose grande au monde : mourir pour une idée...Et nous le croyons tous... Tous ceux qui s’orientent vers une lueur de beauté... le prêtre martyrisé devant l’autel, le soldat mitraillé sur un rempart, le révolté collé au mur !... Lorsque, penché sur un pestiféré, je respire son poison, je me sens plus noblement placé dans l’humanité qu’aux heures où mes collègues de l’Institut acclament une de mes découvertes... Ce sentiment-là vous rend l’héroïsme facile ; c’est lui qui jette des gerbes de sacrifices dans les granges de l’idéal !... Le peu de science que je portais en moi, je l’ai promené dans les salles malsaines, et, au contact de la nouvelle idole, pour employer ton expression, j’ai vu les moribonds revivre... Peu à peu a grandi dans mon cœur un fanatisme de prêtre... Pourquoi la science qui sauve tant de gêna, ne verrait-elle pas– privilège d’idole !... – les gens se faire écraser sous les roues de son char ?... Elle est assez grande pour exiger cela !

Un silence.

Louise, il me semble cependant que tu dois comprendre. Tu es de celles qui meurent pour une idée !... Lorsque j’étais en danger, tu m’as veillé jour et nuit, merveilleuse d’abnégation, risquant mille fois ta vie pour un homme que... tu n’aimais pas.

LOUISE, émue.

Albert !

ALBERT, tristement.

Non, tu ne m’as jamais aimé... Je me suis fait des illusions que ton courage fortifiait. C’est aujourd’hui seulement que je vois clair... Il est visible que dans ton cœur personne ne plaide pour moi... Pardon de ma longue erreur... Je travaillais, me reposant sur ton affection avec une confiance qui aurait peut-être dû te toucher...

LOUISE.

Ta confiance, à quoi pouvais-je la distinguer du dédain ?... J’étais, je t’assure, plus blessée que touchée... Cela ne m’a pas empêchée de te respecter, jusqu’à ce matin, comme un maître très grand et très bon.

ALBERT.

Et à présent ?...

LOUISE.

Tu me fais presque peur !... Toi qui reproches aux croyants de sacrifier trop facilement les existences, tu m’apparais un croyant plus meurtrier que les autres et sans avoir comme eux l’excuse d’offrir à tes victimes l’espoir d’un bonheur éternel. Cependant, j’ai compris : celui qui, pour un idéal, ne balance pas à donner sa vie, n’y regarde guère à exposer celle des autres avec la sienne... Pendant que tu parlais, j’éprouvais une espèce de... d’entraînement... Mais c’est fini, vois-tu !... Je ne puis oublier cette enfant !...

ALBERT.

Elle !... Ce que tu as promis... de la prendre avec toi... c’est une bonne action... bonne même pour moi...

LOUISE.

Que veux-tu dire ?... J’ai agi sans savoir... par instinct... par pitié... Je n’avais pas songé !... Elle !... chez toi !... Cette vie en commun !...

Se couvrant la figure des deux maint.

Oh !...

ALBERT.

Je t’en supplie, ne change rien à ton projet... Te voilà terrifiée par ce rapprochement du meurtrier et de sa victime... Non !... Nous mettrons ordre à cela... Laisse-toi guider par ta charité... Je n’encombrerai pas... Retiens ce mot... Ta sœur m’a prévenue que, grâce à ta bonne volonté, là famille resterait unie ; mais, puisque je te fais peur, sois tranquille, je m’arrangerai pour que ma présence ne soit pas trop pénible... Dès maintenant considère-toi comme libre...

LOUISE.

Albert, malgré ce que je n’ai pas eu la force de cacher, il ne faut pas me parler comme à une ennemie, J’accepte ma liberté : en toute loyauté, je te dois... Tu n’es plus l’homme que j’ai voulu pour mari, et je ne sais vraiment pas si j’aurai le courage de rester la femme de l’homme que je découvre.

 

 

Scène VII

 

LOUISE, ALBERT, MAURICE

 

MAURICE, serrant les maint de Louise et d’Albert.

Eh bien, mes chers amis, décidément, on vous persécute !... Quelle contrariété !...

À Albert.

Êtes-vous toujours dans les mêmes intentions ?

ALBERT.

Plus que jamais...

À Louise.

Il s’agit de papiers que...

LOUISE.

Je suis au courant.

ALBERT, à Maurice.

Un simple cahier à fourrer dans votre poche... Je vais le chercher...

Il sort.

LOUISE, seule avec Maurice.

Je vous ai fait de la peine hier !

MAURICE.

Oui...

LOUISE.

Il ne faut plus souffrir à cause de moi.

MAURICE.

Je lis ce qui se passe en vous !

LOUISE.

Tant mieux !... cela me dispense de le dire.

MAURICE.

Oh ! non !... Dites !

LOUISE.

Ce n’est pas le jour !...

ALBERT arrive, les papiers à la main.

Voici... Ce sont des résumés d’observations et quelques notes... Ayez-en bien soin !

 

 

ACTE II

 

Chez Maurice Cormier. Grande salle servant à la fois de cabinet de travail, de bibliothèque et de laboratoire. Bureau, lit, fauteuil articulé, plusieurs tablée chargées d’instruments enregistreurs. Sur les murs, dans les espaces non occupés par les rayons garnis de livres, sont accrochés des collections de photographies scientifiques, des tableaux anatomiques, tout un assortiment de tracés aux crayons de couleurs, montrant des réseaux de filets nerveux, etc.

 

 

Scène première

 

LOUISE, DENIS

 

Louise, en toilette sombre, chapeau et voilette, entre brusquement et va s’asseoir sur un fauteuil devant le bureau. Denis ta suit. C’est un vieux domestique, carré d’épaules, à figure glabre, cheveux grisonnants.

LOUISE.

Si monsieur Cormier n’y est pas, j’attendrai... Voilà tout...

DENIS, très paternel.

Bien, bien, ma petite... Ce n’est pas l’habitude que les dames qui ont affaire à Monsieur l’attendent ici... Vous avez une façon de courir à la première porte que vous voyez !... Nous sommes dans la salle de travail, les étrangers ne peuvent pas s’y installer comme en pays conquis... Vous y viendrez à votre tour... Allons, soyez bien mignonne, et suivez-moi dans le salon d’attente.

LOUISE.

Je ne sais pas pour qui vous me prenez... Monsieur Cormier ne vous grondera pas, j’en réponds !

DENIS.

Pardi ! Monsieur sait bien que si je vous supporte, c’est qu’il n’y a pas moyen de faire autrement. Je suis prévenu de votre visite.

LOUISE, stupéfaite.

Prévenu ?

DENIS.

Monsieur m’a raconté toute votre histoire ; ainsi...

LOUISE.

J’ai une histoire ?

DENIS.

Vous vous appelez Hortense, native de Chevreuse où vous habitez... Depuis deux ans vous êtes possédée du diable. Il ne vous tient pas toujours ; mais, quand il vous tient, il vous tient bien. Ah ! j’oubliais : vous êtes aveugle de l’œil droit.

LOUISE.

Aveugle, moi, de l’œil droit ?

DENIS.

Oui, du moins à l’état normal, car, pendant les crises, vous y voyez des deux yeux.

LOUISE.

Vous vous trompez. Mes deux yeux sont continuellement parfaits.

DENIS.

Bah !... Pourtant Monsieur m’a dit que le droit...

LOUISE.

Il est donc possible qu’une femme soit aveugle et tout à coup se mette à y voir pendant une crise ?

DENIS.

Oh ! il ne faut pas vous épater pour si peu. Nous avons mieux que ça. Léonie, par exemple ! Attendez, que je vous montre son portrait.

Il va décrocher un cadre contenant une collection d’une quarantaine de portraits de femmes, parmi lesquels il en cherche un qu’il montre à Louise.

Telle que vous la voyez, elle est aveugle.

LOUISE, examinant le portrait.

Avec ces beaux yeux-là ?

DENIS, avec importance.

Complètement aveugle. Cécité hystérique, qu’on appelle... Lorsqu’elle vient ici, on la conduit par la main ; mais Monsieur n’a qu’à l’endormir. Aussitôt qu’elle est en état de somnambulisme, il lui commande de retourner à la maison : alors elle y va toute seule, sans hésitation, sans demander son chemin à personne. Un chemin qu’elle n’a jamais parcouru qu’avec les yeux morts !

LOUISE.

Je ne comprends pas : Monsieur n’a qu’à l’endormir ?

DENIS.

Ah çà ! d’où sortez-vous ? Vous ne me ferez pas croire qu’on ne vous a jamais endormie ?

LOUISE.

C’est pourtant la vérité.

DENIS.

Eh bien, ça vous arrivera pas plus tard que tout à l’heure. Dès qu’on nous adresse une femme qui présente des phénomènes, la première chose à faire, c’est de l’endormir et de voir comment elle se comporte en état de somnambulisme.

LOUISE.

C’est-à-dire qu’on l’endort, et puis qu’on la fait parler, agir ?

DENIS.

Justement.

Prenant une photographie.

Tenez, voyez cette grande femme brune : c’est une Bretonne de trente ans, nommée Valérie. Hier, après l’avoir endormie, Monsieur lui a suggéré qu’elle était encore à l’âge de dix ans, et puis nous nous sommes cachés dans la chambre à coté pour voir ce qu’elle ferait. Pendant plus de trois heures, nous l’avons observée changée en petite fille, jouant, riant, absolument comme une gosse. Je n’avais qu’à frapper contre le mur, elle se cachait sous la table en criant que Croque-mitaine venait la prendre. À la fin elle câlinait sa maman, qui est morte depuis longtemps. Cela produisait tout de même une drôle d’impression.

LOUISE.

Je n’en doute pas.

DENIS.

M. le docteur Donnat, de l’Institut, qui vient souvent travailler avec mon maître, est entré pendant qu’elle s’amusait à faire des petits pâtés de sable. Elle lui a demandé de la moucher.

LOUISE, montrant les portraits.

Ainsi toutes ces créatures sont des malades qu’on endort à volonté pour en faire des machines à pleurer ou à rire ?

DENIS.

Mais oui, ce sont des sujets à Monsieur, des collègues à vous maintenant.

Se frappant le front

Ah ! mats... j’y pense !... Parfaitement ! Je sais à quoi m’en tenir sur votre cas. Monsieur a dû vous mettre en somnambulisme chez vous. Bien entendu vous n’en savez rien, c’est tout simple ! Mais, pour moi, vous agissez en ce moment comme une somnambule. En insistant pour entrer, vous obéissiez certainement à une suggestion ; sans cela, vous qui avez l’air timide et bien élevé, vous ne m’auriez pas ainsi bousculé ! Aussi, comme je me doutais du coup, j’ai eu bien soin de ne pas vous contrarier. Je ne tenais pas à vous avoir sur les bras avec la grande crise.

 

 

Scène II

 

LOUISE, DENIS, MAURICE

 

MAURICE, apercevant Louise.

Vous !

DENIS, bas à Maurice.

Elle s’est tellement débattue pour rester que je n’ai pas osé la renvoyer.

MAURICE.

Il n’aurait plus manqué !...

DENIS.

Elle paraît nerveuse.

MAURICE, la repoussant.

Encore une fois, c’est bon.

DENIS.

Du reste, rien de particulier. Agitée seulement.

Il sort.

 

 

Scène III

 

LOUISE, MAURICE

 

MAURICE.

Je n’en reviens pas ! Vous ici !... Comme je suis heureux !

Il veut lui baiser la main, qu’elle retire doucement.

LOUISE.

Non, laissez !... Il m’est pénible, dès le premier mot, de vous causer une déception, mais j’arrive un peu en égoïste, je n’apporte pas le bonheur... Ah ! grand Dieu ! quel bonheur attendre d’une créature en détresse ?

MAURICE.

En effet, vous avez bien des tourments !... Cette malheureuse accusation fait un tapage énorme. Mais soyez certaine qu’on n’a pas de preuves.

Frappant sur son bureau.

Elles sont ici, les preuves, et on ne viendra pas les y chercher. Cela n’empêche pas la situation d’être déplorable. Le coup a porté sur l’opinion.

Examinant Louise.

Vous avez mauvaise mine.

LOUISE.

Je n’ai pas fermé l’œil cette nuit. C’est si terrible !... Albert, qui sait que je ne l’aime pas, est venu fièrement me rendre ma parole... Ce serait pourtant vilain de quitter mon mari au moment où tout le monde s’écarte de lui... Mais nos dernières années n’ont pas été bonnes, j’ai soif d’un peu de bonheur ! Jusqu’à présent, l’idée de pouvoir être heureuse en dehors de lui ne m’était jamais venue. Il m’inspirait un tel respect !... Même quand Il me blessait, même quand j’en arrivais à le détester presque, il gardait une place à part dans mon estime. Mon âme s’était réglée sur la sienne au point qu’il me semblait impossible d’agir sans avoir les yeux fixés sur lui. Et le voilà qui s’effondre !... J’essayais de m’élever à sa suite ; lui tombé, mol, jusqu’où descendrai ? Que faire ?... Provisoirement, je n’ai ni accepté ni refusé la liberté qui m’était offerte. Voyez, je vous suppose l’âme assez haute pour qu’on n’ait rien à vous cacher., je suis triste... irrésolue... j’ai peur de me montrer... Ce matin, je n’osais pas sonner ma femme de chambre... Il me semble que dans la rue les gens me reconnaissent et se retournent avec colère. À part ma sœur, qui est admirable, mais absorbée par son ménage, aucune amie ne m’a donné le moindre souvenir... Albert est ferme comme un roc... Il a passé la matinée à l’hôpital et passera la journée à l’Institut. Son énergie méfait horreur... et envie !... Je sors de chez une bonne religieuse qui m’a donné la permission de recueillir une orpheline à laquelle je m’intéresse... J’espérais retrouver au couvent mes impressions d’enfance... très douces... Mais tout m’a paru froid et hostile... Les chapelles ont pour moi quelque chose de funèbre depuis que je ne prie plus !... Cette visite n’a fait que m’assombrir... je me sens si seule !...

MAURICE.

Et vous n’avez pu résister au besoin d’entendre une parole amie ?... Vous m’aimez un peu ?

LOUISE.

Parlerais-je avec cette confiance si je n’avais pour vous qu’une amitié banale ?... Vous voilà au courant de mon angoisse. Je me sauve d’une maison où tout me paraît lamentable et je ne voudrais pas être contente ailleurs. Eh bien, ce n’est pas à l’ami que je m’adresse, mais au savant. Il n’est question que de vos beaux travaux psychologiques. L’âme n’a pas de secret pour vous. Soyez, avec un désintéressement absolu, le médecin de mon âme. Voyez, je demande beaucoup, non pas à votre science, mais à votre loyauté.

MAURICE.

C’est, au contraire, à ma science que vous demandez beaucoup... Infiniment trop !

LOUISE.

Oh ! pas de fausse modestie !... Il est impossible que, devant un cas aussi simple que le mien, vous restiez à court... Mon mari m’inspire une véritable terreur. Dois-je la surmonter ? Le puis-je ?... Trouverai-je dans le sacrifice même la force dont j’ai besoin ? Au cas où l’effort deviendrait par trop lourd, ai-je, en conscience, le droit de faiblir ?... Si je n’ai pas ce droit, si je suis enchaînée pour toujours à mon devoir, je réclame un remède, un cordial, qui me rende l’énergie.

MAURICE.

Mais quelle étrange prière !... Vous me désolez !

LOUISE.

Étrange !... Pourquoi ?...

MAURICE.

Vous demandez à mon pauvre savoir ce qu’il ne peut donner.

LOUISE.

Alors c’est que je ne saisis pas bien en quoi consistent vos travaux. La psychologie, c’est pourtant la science de l’âme ?

MAURICE.

De l’âme, oui... ou, du moins, des phénomènes que l’on a groupés sous ce nom.

LOUISE.

On proclame que vous êtes un grand novateur en psychologie.

MAURICE.

J’espère avoir donné à mes études une direction qui mène à de précieuses découvertes.

LOUISE.

Lesquelles ?

MAURICE.

Mais tout reste à découvrir en psychologie ! On ne sait rien ! Depuis des milliers d’années, on roule les bonnes gens avec des mots creux. L’âme ! Qu’est-ce que cela, l’âme ? L’a-t-on jamais vue, touchée ?... On assure qu’elle existe parce que la matière ne peut penser... Qu’en sait-on ? Comment, l’a-t-on vérifié ?... On a l’aplomb d’ajouter ; l’âme, est immortelle !... L’âme humaine, bien entendu... Mais, quand je demande qu’on le prouve, on me fournit des raisons qui démontrent tout aussi bien l’immortalité de l’âme du chien. Pourquoi l’une et pas l’autre ? Parce que dans tout cela il n’y a que rêveries de poètes suggérées par l’horreur du néant. Aussi qu’arrive-t-il ? Nous savons de quoi est composée l’atmosphère de la planète Mars, mais nous ignorons tout du souffle qui nous anime. N’est-ce pas le comble du ridicule ? Ce ridicule, il faut lui échapper. Nous sommes quelques-uns qui avons résolu de fonder enfin la science de l’esprit humain sur l’expérimentation, sans laquelle il n’y a pas de certitude. Ici nous ne travaillons qu’à cela.

LOUISE.

Vous n’allez pas prétendre que cette collection d’instruments bizarres sert à pénétrer la nature de nos âmes !

MAURICE.

Si, je le prétends.

LOUISE.

Cette petite machine, par exemple, absolument pareille à un baromètre enregistreur...

MAURICE.

Va nous fournir tout autre chose que la courbe des pressions atmosphériques.

Prenant la main de Louise.

Tenez, si je la mets en communication avec l’artère de votre poignet au moyen de ce tube en caoutchouc, vous verrez se tracer une ligne sur le cylindre enregistreur, ligne dont les sinuosités seront en rapport direct avec les caprices de votre pouls. Regardez ! Si je frappe dans mes mains, comme ceci, vous avez beau avoir été prévenue, les zigzags de la ligne deviennent plus accentués, signe d’une agitation dont vous n’aviez même pas conscience. Si j’ouvre un livre et que je lise un passage noble ou touchant, la ligne prend une allure encore plus accidentée : vous êtes émue. Au contraire, si je tombe sur un passage ennuyeux, la ligne est à peine ondulée : vous somnolez. Concevez-vous quelles précieuses révélations nous obtenons en appliquant une pareille méthode à toutes les opérations mentales, à toutes les sensations ? Nous parcourons les écoles, les casernes, les usines, les hôpitaux, et sur des centaines, des milliers de sujets, nous répétons des expériences qui consistent à émouvoir l’esprit en exerçant sur le corps un contrôle d’une incroyable minutie. Nos fils conducteurs s’accrochent aux nerfs, nos tubes s’adaptent aux bronches, nos pinces, nos leviers se contractent avec les muscles ; par les yeux, les oreilles, par les canaux sinueux des veines, par le labyrinthe des filaments nerveux, nous nous glissons jusqu’au sanctuaire de la pensée et nous touchons, oui, nous touchons l’inconnu qui vibre au plus intime de la personne humaine. De chacun de ces contacts il reste un procès-verbal. Tantôt c’est un de ces papiers enduits de noir de fumée, sur lequel court une bizarre ligne blanche, éloquente pour qui sait la lire ; tantôt c’est un chiffre, une note... Nous récoltons ainsi une prodigieuse moisson, soigneusement classée dans d’innombrables dossiers.

LOUISE.

À quoi cela mène-t-il ?

MAURICE.

Ces documents sont conservés dans des publications spéciales. Jusqu’à mon dernier soupir je ne cesserai d’en amasser de nouveaux. Après moi, d’autres chercheurs expérimenteront avec des instruments perfectionnés en partant du point où je me serai arrêté. Ils entasseront sur mes collines de dossiers des montagnes de nouveaux dossiers, cela se poursuivra jusqu’au jour lointain où une vérité se dégagera, et alors la science psychologique sera constituée. Ce jour-là seulement, on saura si l’âme existe, si elle est immortelle, d’où elle vient, où elle va. Ceux qui  disserteront sur le jugement, l’imagination, la mémoire, la volonté, le feront d’après des données certaines. Lorsque l’horlogerie mentale se détraquera, il y aura des horlogers nommés psychologues qui rétabliront d’une main sûre le rouage faussée.

LOUISE.

Vous dites qu’il faudra longtemps pour en arriver la ?

MAURICE.

Quatre ou cinq cents ans, ce n’est pas ‘trop pour constituer une science.

LOUISE, avec une explosion d’ironie amère.

Dans cinq cents ans on saura si j’ai une âme et comment la guérir, et c’est aujourd’hui que je souffre ! Voilà donc la science ! Je sombre dans le découragement, elle m’offre le doute ! Mais le plus humble prêtre auquel je raconterais ma douleur trouverait des paroles bien autrement consolantes !

MAURICE.

À l’instant vous constatiez que les églises vous repoussent depuis que vous ne priez plus !

LOUISE.

Les églises sont de pierre !... La charité d’un bon vieux curé me donnerait des forces, parce que je le sentirais fort de sa foi et qu’on a beau ne pas croire, le voisinage d’une conviction sincère inspire confiance.

MAURICE.

Pauvre science, comme vous l’arrangez !... C’est vrai qu’elle le mérite un peu. Mais aussi vous l’invoquez précisément sur le seul terrain où elle ne peut vous secourir. Elle, qui triomphe si bien de la souffrance physique, est absolument désarmée devant la douleur morale...Et encore, non !... Pas tant que cela !... Nous recevons ici des femmes profondément souffrantes au moral, et qui, pourtant, nous quittent, dans bien des cas, véritablement soulagées.

LOUISE.

Alors, pourquoi pas moi ?

MAURICE.

Parce que votre santé physique est excellente, tandis que chez nos sujets, à l’esprit malade correspond un stigmate corporel.

LOUISE.

Par exemple de beaux yeux clairs qui ne voient pas ?...

MAURICE.

Tiens, vous aussi, vous êtes savante !

LOUISE, ironique.

C’est d’avoir fait la conversation avec votre domestique... Figurez-vous qu’il m’a prise pour une possédée du diable que vous attendez. Ainsi, mieux vaudrait pour moi être cette malheureuse : votre science ne m’ajournerait pas à cinq cents ans !

MAURICE.

J’espère, en effet, la guérir.

LOUISE.

Par quel traitement ?

MAURICE.

Je commencerai par l’endormir, puis je tâcherai, par suggestion, de la décider à ne plus croire qu’elle est la proie du diable. Je ne réussirai pas du premier coup, mais il est probable qu’en quinze ou vingt séances je parviendrai à l’affranchir.

LOUISE.

Ah ! si j’étais une malade, comme je vous supplierais de m’affranchir aussi par suggestion !

MAURICE, souriant.

Au fait, pourquoi pas ?

LOUISE.

Je suis une malade ?... qu’on peut endormir ?

MAURICE.

Pas la peine, c’est fait !

LOUISE.

Je dors, moi ?...

MAURICE.

Je plaisante... Vous rêvez, tout au plus !

LOUISE.

N’est-ce pas vous qui rêvez ?

MAURICE.

Pardon !... J’ai toujours une petite théorie tonte prête pour expliquer ce qui me frappe. Votre visite si soudaine pose un problème que je suis en train de résoudre. Il est résolu : vous êtes ici par suggestion.

LOUISE, ironique.

Quand vous êtes entré, votre domestique rendait absolument le même oracle.

MAURICE.

Laissez donc ce vieux radoteur !... Oui, par suggestion. Hier, pendant le peu d’instants que nous avons passés ensemble, j’ai eu la vision très nette de votre image et de la mienne, seules dans cette chambre, comme nous voici maintenant. Mon regard aura reflété l’immense désir qu’éveillait en moi cette vision et il n’y a pas de magnétisme plus impérieux que celui du désir, surtout quand il s’adresse à un autre désir. N’est-ce pas un peu le cas ? Il est certain, Louise, que vous m’aimez.

LOUISE, ironique.

Dans, la bouche d’un savant, voilà une affirmation qui n’est guère prouvée.

MAURICE.

Permettez ! Je sais qu’il y a deux jours vous n’aviez pour moi qu’une inclination modérée. Mais aujourd’hui je compte absolument sur un allié qui oblige cette inclination à se transformer en amour.

LOUISE.

Quel est cet allié ?

MAURICE.

Le chagrin !... Dans la vie mentale comme dans la vie animale, la maladie s’attaque de préférence aux organismes affaiblis. Un moral affecté par une douleur profonde est mûr pour une crise morbide. Or il n’y a pas de cas pathologique mieux caractérisé que l’amour. C’est au point que, dans le langage populaire, amour et folle ne font souvent qu’un. Aussi l’être déprimé par l’infortune se trouve-t-il à moitié chemin entre l’amour et la démence. Ira-t-il vers l’un ou vers l’autre ?... Aux circonstances de décider.

LOUISE.

Selon vous, les gens heureux sont donc incapables d’aimer ?

MAURICE.

Je ne dis pas cela ! Mais, au milieu de leurs emballements, ils restent plus maîtres d’eux-mêmes. Les passions des gens heureux sont sages !

LOUISE, ironique.

Mes compliments à vous qui êtes heureux !... Quant à moi, mon sort est réglé d’avance t puisque j’échappe à la folie, je suis vouée à tous les délires de la passion. On peut, sans fatuité, se promettre mes bonnes grâces !

MAURICE.

Que vous êtes mauvaise !... Je poursuivais simplement mon idée de suggestion. Vous souffrez, et l’amour naît de votre chagrin. Comme une amoureuse ne se possède guère mieux qu’une somnambule, vous accourez, sans fausse pudeur, toute surprise vous-même de vous trouver ici.

LOUISE, ironique.

Oh ! que c’est vrai !... Savez-vous le soupçon qui me vient en vous écoutant ?... il y a deux jours, lorsque vous cherchiez à me bouleverser par vos belles phrases, vous étiez prévenu d’une catastrophe. Osez dire que non !... Mon mari sortait de chez vous. Il était allé vous prier de lui venir en aide en recueillant ses papiers. Comment n’y ai-je pas songé plus tôt ? Depuis des années vous me guettez. Il doit y avoir ici, quelque part dans vos dossiers, une feuille d’observations sur laquelle vous notez l’envahissement de la souffrance en moi. Vous attendiez l’heure où je serais découragée, affaiblie par la peur et l’insomnie, prête enfin pour l’amour ! Prévenu par Albert que le lendemain je serais au point où les grandes passions se développent, vous avez couru jeter dans mon oreille les premiers mots d’une habile suggestion ! Ah ! mes airs farouches ne vous inquiétaient guère ! En me quittant, vous laissiez la porte ouverte au malheur, votre allié !... C’est d’un chevaleresque ! Regarder l’amour comme une hallucination de malade, et consentir à être aimé !... Abuser d’une folle !... Tenez, mon mari, son crime est plus grand peut-être, mais moins...

 

 

Scène IV

 

LOUISE, MAURICE, DENIS

 

DENIS.

Monsieur le docteur Donnat demande s’il peut entrer.

MAURICE.

Non, non...Je vais lui parler... La possédée de Chevreuse n’est pas arrivée ?

DENIS, regardant Louise.

Mais...

LOUISE, souriant, à Denis.

Non, mon brave homme, je ne suis pas elle.

MAURICE.

Priez M. Donnat de patienter un peu. Dans cinq minutes je suis à lui.

DENIS.

Bien, Monsieur.

Il sort.

MAURICE.

Votre mari sait que j’attends cette fille, et vient pour l’examiner avec moi.

LOUISE.

Croyez-vous donc que j’aie peur de le rencontrer ? Vous oubliez que je n’ai plus de comptes à lui rendre. Qu’il vienne ! Ou plutôt non : ma présence l’empêcherait peut-être de parler.

MAURICE.

Qu’aurait-il à me dire que vous ne puissiez entendre ?

LOUISE.

Il a certainement un projet qu’il tient à me cacher. Je me demande si son calme ne couvre pas une résolution désespérée. De notre conversation d’hier j’ai retenu cette phrase, dite avec une gravité vraiment impressionnante t je n’encombrerai pas.

MAURICE.

Cela n’avait sûrement pas la moindre signification tragique... Je connais l’homme ! Il a fait ce qu’il a voulu, et se moque parfaitement des sots qui clabaudent.

LOUISE.

Non, il n’a pas fait ce qu’il a voulu ; et quand un homme de sa trempe commet une erreur, il ne se pardonne pas facilement.

MAURICE.

Une erreur ?

LOUISE.

C’est le secret d’Albert !... Vous allez le recevoir ici ?

MAURICE.

Comme toujours. C’est ici que nous travaillons.

LOUISE.

Je voudrais écouter ce qu’il dira. Voyons, lorsque vous avez ici la singulière dame que vous changez en petit enfant, je sais qu’il y a un coin d’où vous la regardez câliner sa maman morte depuis longtemps.

MAURICE, montrant une porte.

Quelquefois je vais là, dans ma chambre. Il y a derrière ce rideau une lucarne ouverte qui sert d’observatoire.

LOUISE.

Je vais m’y mettre.

MAURICE.

C’est sérieux ?

LOUISE.

Très sérieux... je m’aperçois qu’on connaît mal les gens... Il faut entendre !

Elle se dirige vers la chambre de Maurice.

MAURICE, pendant qu’elle passe.

Quand il sera parti, faites que je vous retrouve meilleure !

Resté seul, il va ouvrir la porte par laquelle est sorti Denis et fait entrer Albert.

 

 

Scène V

 

MAURICE, ALBERT

 

ALBERT.

Bonjour, cher ami.

Poignée de main.

Ne comptez pas sur moi pour travailler tantôt. Il y a séance à l’Institut et je tiens à y assister. Ce n’est pas le jour d’avoir l’air de me cacher. Vous avez vu comme on m’arrange dans la Presse. Est-ce assez complet ?

MAURICE.

Je suis écœuré !

ALBERT.

Que de venin bavé sur moi !... Les chers confrères !... Ceux qui marchent le front haut parce qu’ils ont eu la chance de n’être jamais pinces et ceux dont la conscience est pure parce que leur cerveau est stérile !

MAURICE.

Maître, nous sommes beaucoup qui vous défendons... Les plus grands, les seuls qui comptent, vous aiment et vous plaignent.

ALBERT.

 Oh ! moi, je me place dans une situation d’esprit à ne plus souffrir... C’est ma femme qu’il faut plaindre !... Elle prend beaucoup sur elle, mais, je le vois bien, ma conduite lui fait horreur... Elle ne comprend rien à ce qui m’entraîne vers un but follement poursuivi. Mettez que tôt ou tard ma honte actuelle se transforme en gloire, cette gloire lui semblera toujours un bien mal acquis.

MAURICE.

Une femme ne peut guère s’imaginer la fièvre de savoir qui vous dévore. Pas beaucoup d’hommes non plus, d’ailleurs... Les jurés sont remplis d’indulgence pour les crimes passionnels parce qu’ils ont tous ! été amoureux ; mais combien trouverait-on de jurés pour qualifier votre action de crime passionnel ?... Ce n’est pourtant pas autre chose.

ALBERT, avec violence.

Un crime !... Vous appelez ça un crime ?...

MAURICE.

Je me suis mal exprimé : c’est passionnel !... Vous avez agi dans le plein droit d’une ferveur d’investigation que j’admire.

ALBERT.

À la bonne heure !... Parce que, vraiment, si vous m’aviez jeté la pierre, vous !

MAURICE.

Moi ?

ALBERT.

Regardez donc où vous êtes !... Voici une chambre où nous avons cultivé un nombre prodigieux d’hallucinations...Que faisions-nous alors ? Eh ! mon bon, réfléchissez un peu... Tirer de ce paquet de nerfs endoloris que nous nommons un sujet assez de personnages différents pour composer un roman, introduire à l’intérieur de son crâne autant de consciences variées qu’on pourrait poser de chapeaux dessus, – appelons les choses par leur nom, c’est tout simplement tuer des gens pour les remplacer par d’autres... L’idée d’un massacre ne se présente pas tout d’abord à l’esprit, parce que l’effectif des sujets reste complet... Pourtant il y a massacre, puisqu’il y a destruction de personnalités... Quelle figure vous faites !

MAURICE.

La figure d’un prévenu pendant que l’avocat général requiert contre lui.

ALBERT.

Vous avez tort... Il y a massacre, mais ai-je dit qu’on n’avait pas le droit de massacrer dans certains cas ?... On l’ai... ou sans cela je connais des gens dont la situation serait terrible... Moi, par exemple !... et beaucoup d’autres... tous ceux qui cherchent... écrivains aussi bien que savants, pourvu qu’ils soient novateurs...

MAURICE.

Quoi donc, tous meurtriers !...

ALBERT.

Oui, tous, ou peu s’en faut... Ceux qui anéantissent d’anciennes croyances brisent souvent les vases fragiles qui les contenaient... En détail, l’humanité a beau n’être composée que d’individus accablés de soucis matériels, en bloc elle est menée par des idées qui lui sont si chères, qui intéressent si profondément ses fibres les plus délicates, que supprimer une de ces idées, c’est envoyer au supplice des milliers d’innocents. Le penseur marche sur un chemin jonché de cadavres auxquels il ajoute souvent le sien. Celui qui écrit une ligne vraiment neuve peut s’attendre à ce que, dans l’avenir, des créatures soient tuées à cause d’elle. Faut-il, pour cela, ne pas proclamer la vérité quand nous la dégageons ?... Allons donc !

MAURICE.

Le penseur marche sur un chemin jonché de cadavres... Vous avez des maximes...

ALBERT.

Les voilà bien tous !... Ils ne veulent pas contempler la mort !... Voyez-vous, mon cher, il n’y a que deux hommes, le prêtre et le médecin, qui passent leur existence à regarder la mort en face. Ce tête-à-tête est atroce au point qu’on ne le supporte pas sans tricher. Le prêtre a l’autre vie ; on se dit au revoir, on parle de lendemain, on donne des commissions pour le ciel... La mort n’est plus qu’un épisode des déplacements et villégiatures... Quant au médecin, généralement il fait de la mort un petit animal familier qui réjouit les salles d’hôpitaux, gambade sur les lits, chatouille les infirmières, casse les lunettes du professeur... Un singe tout à fait drôle... Qui donc en aurait peur ?... Il y en a parmi nous que ne satisfait pas cette insouciance de carabins. Leur intrépidité vient de plus haut. Pour eux, la science tourne en religion. Ils ont proclamé que Dieu n’existe pas, que l’âme est une résultante, et les voilà plus croyants, plus fidèles, plus agenouillés que le capucin le plus pieux. La science ordonne : nous expirons avec l’enthousiasme des martyrs, ou égorgeons avec la cruelle soumission des dévots.

MAURICE.

Dites donc, vous avez beaucoup médité depuis hier !

ALBERT.

C’est vrai !... Il y a des heures dans la vie où il faut reprendre haleine devant le chemin parcouru et se demander vers quoi l’on marche.

MAURICE.

Je ne suis pas de votre avis... Lorsqu’on s’est assigné un noble but et qu’on s’accompagne d’un bel acharnement pour l’atteindre, n’importe quel chemin conduit à des résultats certains. Il faut marcher, marcher toujours, sans se laisser ralentir par de vains scrupules sur le choix de la route, sous peine d’être distancé par de moins timorés.

ALBERT.

D’accord. On doit trimer pendant des années sur les besognes les plus intellectuelles, avec la stupide patience du bœuf. Quant aux vains scrupules dont vous me signalez le danger, je crois que, sous ce rapport, je n’ai de leçons à recevoir de personne. Pourtant il arrive un moment où il faut lever la tête et regarder autour de soi, sans cela notre besogne, si intelligente qu’on la suppose, ne nous élève vraiment pas assez au-dessus du bœuf qui laboure, indéfiniment résigné, le même sillon. Tenez, je n’admets pas qu’on puisse être un savant, un grand, – non pas l’homme qui sait beaucoup de choses et peut n’être qu’un vulgaire pignouf, mais celui qui possède l’esprit scientifique, ce don sublime ! – eh bien, je n’admets pas qu’on puisse être un grand savant et ne pas jeter quelquefois vers le ciel un regard d’angoisse en y cherchant Dieu.

MAURICE.

Alors je ne suis pas un savant.

ALBERT.

Si, vous l’êtes !... Et jamais, jamais, cette question de l’Infini ne vous tourmente ?

MAURICE.

Pour moi, elle est résolue. Pour vous aussi, d’ailleurs. Vous m’avez dit avoir tenu trop d’âmes sur la pointe de votre scalpel pour accorder la moindre créance aux hypothèses du spiritualisme.

ALBERT.

Le jour où j’ai dit cela, je ne parlais pas en savant !

MAURICE.

Encore une fois, quelle est cette rage de vouloir obliger les savants à s’occuper d’un problème qui n’a pas de données ?

ALBERT.

Pas de données !... Mais qu’est-ce que ce sentiment d’éternité qui imprègne toute ma nature, au point que je ne puis pas penser à l’objet le plus vulgaire, une table par exemple, sans que ce terme comprenne toutes les tables qui sont ici, toutes celles qui existent, ont existé, existeront ?... Je nomme un objet : le voilà pourvu de caractères impérissables. Et mon esprit qui fait cela, mon esprit qui revêt d’immortalité tout ce qu’il effleure, serait seul voué au néant ! Allons donc ! Le néant !... Pouvez-vous y penser sans frémir ?... Oh ! ne dites pas que oui !... On croit cela de loin !... Je connais la gloire. J’ai eu des heures de triomphe telles que si, dans ma jeunesse, on me les avait annoncées, je me serais écrié : « Après cela, je pourrai mourir !... » Eh bien ! j’ai eu cela, et je ne veux pas mourir ! Il m’est arrivé il n’y a pas longtemps, je vous dirai comment, de me poser le canon d’un revolver sur la tempe, avec la résolution d’en finir. Je sais jusqu’où peut aller l’horreur du néant ! Voyons, nous sommes l’un et l’autre bien pénétrés du grand principe de la science moderne, qu’à toute fonction correspond un objet qui lui est adapté. L’œil implique l’existence de la lumière, le poumon l’existence d’une atmosphère respirable. Soyons logiques : ce formidable besoin de survivre qui émane du jeu de nos organes suppose forcément une survie. Pauvre roseau pensant, dont les racines s’enfoncent désespérément à la recherche d’un sol éternel, de quel droit vous, darwiniste convaincu, lut refusez-vous l’éternité ?... Ma raison, ma raison de savant, proteste... Et puis, quand elle approuverait... Ma raison !... Ce qu’elle me montre le mieux, c’est la profondeur des ténèbres où nos regards se perdent... Heureusement elle n’est pas mon seul moyen d’investigation. J’ai une imagination, j’ai un cœur, mon être est relié au monde par toute une trame, frissonnante qui peut me renseigner mieux que ma raison. Dans la vie, est-ce elle qui vous conduit aux vérités les plus précieuses ? Est-ce elle qui vous montre le bonheur dans le regard d’une femme ? Les grands mots qui gouvernent tout : la gloire, l’honneur, est-ce la raison qui les souffle à notre oreille ? Pasteur n’était pas un savant vulgaire, j’imagine, pourtant sa raison s’inclinait devant sa foi. Pourquoi voulez-vous que la mienne, parce que je ne crois pas en Dieu, se déclare satisfaite ? Trouvez-vous que sans Dieu l’énigme du monde soit simplifiée ? Moi, pas. Et alors le problème vient m’assaillir de tant de manières ! Ainsi, au mois de mai dernier, pendant le séjour que j’ai fait dans ma propriété du Dauphiné, j’allais souvent m’asseoir au bord d’un étang ordinairement couvert de superbes nénuphars blancs. Cette année, à cause de la fonte des neiges qui a été tardive, le niveau d’eau est resté longtemps très élevé et les nénuphars, dont la tige est relativement courte et qui ne poussent que sur les bas-fonds, ne parvenaient pas à percer. On voyait, sous une mince couche d’eau, des centaines de boutons à couture blanche, pareils à de petites têtes au bout de longs cous, tendus, oh ! mais tendus à se rompre ! Tous les jours les tiges s’allongeaient, mais s’effilaient en même temps. Je voyais mes plantes à la limite de l’effort. Leur désir de vivre avait quelque chose d’héroïque. Je disais au soleil qui les attirait : « Soleil, triompheras-tu ?... » Et puis je voyais l’eau qui ne diminuait pas assez vite et je tremblais : « Ils n’arriveront pas ! Demain, je les verrai morts sur la vase... » À la fin, le soleil a triomphé. Avant mon départ, toutes les belles fleurs de cire s’étalaient sur l’eau. Voyez-vous ; mon petit, devant cela, je n’ai pu me défendre de réfléchir. Vous, moi, tous les chercheurs, nous sommes de petites têtes noyées sous un lac d’ignorance et nous tendons le cou avec une touchante unanimité vers une lumière passionnément voulue. Sous quel soleil s’épanouiront nos intelligences lorsqu’elles arriveront au jour ?... Il faut qu’il y ait un soleil !

MAURICE.

Comment donc !... Il y en a plus d’un !... Le soleil qui vous attire est la vérité biologique. Le mien, c’est la vérité psychologique. D’autres tendent vers la vérité physique, la vérité mathématique. Autant de soleils que de sciences !...

ALBERT.

Mais s’il y avait une vérité unique synthétisant toutes les autres ? Mes petites têtes de nénuphars visaient toutes le même astre.

MAURICE.

En cela elles représentaient mal les têtes humaines. Pour un savant qui lève les yeux, combien de milliers d’êtres les laissent errer au hasard !... Maître, sans sortir du profond respect que je vous porte, permettez-moi d’être étonné qu’un cerveau comme le vôtre se laisse troubler par une comparaison aussi superficielle. Je suis bien certain que là-bas, pendant que vous ramiez sur votre étang, elle vous a distrait un instant par son charme poétique ; mais vous ne lui avez nullement donné l’importance qu’à vous entendre elle prenait tout à l’heure.

ALBERT.

C’est vrai.

MAURICE.

J’en étais sûr ! Depuis quatre ans nous travaillons ensemble sans que vous ayez prononcé une fois le nom de Dieu, et aujourd’hui vous en parlez tout le temps. Savez-vous ce que cela prouve ? Que malgré votre vaillance ces malheureux événements vous ont fortement touché. Vous subissez en ce moment l’atteinte d’une crise religieuse dont la marche est parfaitement connue. Sous le coup de la terreur, de la maladie ou du chagrin, on voit les plus fermes esprits tourner à la superstition. Lorsque tout sur terre nous abandonne, nous cherchons un appui dans les nuages. Voilà pourquoi tant d’incrédules célèbres par leur intelligence sont morts entre les bras d’un curé ! Les défaillances de ce genre sont tellement fréquentes qu’on leur a donné un nom : « L’idolâtrie des moribonds ».

ALBERT.

Maurice, à l’avenir, je vous défends de m’appeler maître. C’est vous qui êtes mon maître ! Voilà un diagnostic épatant !

MAURICE.

Vous avez beau vous moquer...

ALBERT.

Jamais je n’ai parlé plus sérieusement !... L’idolâtrie des moribonds !... C’est cela !

MAURICE.

C’est au moins de la même famille !... Je ne puis y penser sans émotion ! Vous avez dû éprouver une terrible secousse pour en arriver là.

ALBERT.

Écoutez ! Votre pénétration mérite une confidence. Ce ne sont pas les ennuis que vous connaissez ! criailleries de journaux, enquête policière, qui auraient suffi à provoquer en moi des symptômes d’agonie. Deux fois en vingt-quatre heures je viens de. passer par des angoisses d’une qualité tout à fait supérieure. D’abord j’ai découvert qu’une petite fille récemment sortie guérie de mon service avait reçu de moi une inoculation mortelle. J’ai été tellement saisi que peu s’en est fallu...  

Il fait avec un coupe-papier le geste de se brûler la cervelle.

MAURICE, avec indignation.

Oh bien, non !

ALBERT.

Parfaitement !... jusqu’à minuit j’ai mis ordre à mes affaires, et j’étais résolu à en finir avant le jour.

MAURICE.

Qu’une petite fille meure d’une de vos expériences, c’est désolant !... Mais qu’un homme tel que vous se... pour une... Non, non, non !...

ALBERT.

Savez-vous ce qui m’a sauvé ?

MAURICE.

Dame !... L’instinct de la conservation ?... Vous parlez du néant d’une façon...

ALBERT.

Je demandais un jour à un général s’il n’avait jamais eu peur. « Peur ! Non, pas précisément, m’a-t-il répondu mais, au commencement d’une bataille, j’éprouvais un tel désir de savoir qui serait vainqueur que j’en devenais presque prudent. Être tué par le dernier coup de canon, alors que l’action serait décidée, m’était égal : jusque-là je voulais vivre !... » C’est une curiosité du même genre qui m’a sauvé. J’ai éprouvé un déchirement inexprimable à partir sans connaître la solution du problème que je poursuis depuis longtemps... Il s’agit, vous le savez, d’une découverte énorme !... Je crois être certain de guérir, avec un même vaccin, non seulement le cancer, mais plusieurs maux dont l’origine passait jusqu’à présent pour très différente... On n’a pas le courage de se tuer à la veille d’une si belle trouvaille.

Voyant que Maurice l’examine avec une insistance particulière.

Qu’avec-vous ?  

MAURICE.

C’est singulier, depuis un instant, vos yeux ont une expression... Positivement, vous me rappelez quelqu’un... J’y suis !... Une fille nommée Clémence, que nous avons étudiée ensemble.

ALBERT.

Celle qui s’imaginait avoir tué son enfant ?

MAURICE.

C’est cela !... Un enfant mort du croup et qu’elle adorait... Pour la guérir, – c’est même vous qui en avez eu l’idée, – après l’avoir endormie et lui avoir mis dans la main un couteau de cuisine, nous l’avons conduite près d’un canapé sur lequel était couché un mannequin d’osier habillé comme elle et nous lui avons dit : « Savez-vous qui est cette femme ?... C’est vous ! Il y a en vous deux femmes : la bonne mère qui pleure son enfant et la coquine qui l’a tué et doit être punie du dernier supplice. Vous tenez un couteau : profitez de son sommeil pour la faire périr. Vous vivrez tranquille ensuite... » Vous vous rappelez avec quelle furie elle s’est ruée sur son double et l’a lardé de coups de couteau. Je vois encore son regard lorsqu’elle est revenue de poignarder le mannequin...

ALBERT, lentement.

C’est-à-dire de se tuer elle-même !

MAURICE.

Elle avait absolument vos yeux de tout à l’heure !

ALBERT.

Ah !...

Long silence.

Pour la seconde fois, vous me remplissez d’admiration. On pourrait peut-être vous reprocher de ne pas tirer de vos observations tout le parti qu’elles comportent, mais, en tant qu’observations, elles sont renversantes !

Avec une pointe d’ironie.

Vous êtes un instrument enregistreur de premier ordre !... Jugez-en ! Mon visage a la même expression que celui de cette fille, n’est-ce pas ? Apprenez donc que je viens de commettre un acte identique au sien : j’ai tué quelqu’un ce matin.

MAURICE.

Hein ?

ALBERT.

Vous connaissez la difficulté de mes expériences. J’opère sur des paralytiques qui sont toujours emportés avant que le virus n’ait atteint son plein développement. Eh bien ! ce matin, j’ai institué une expérience qui promet d’être décisive, en inoculant un homme d’une vigueur exceptionnelle.

MAURICE.

Je ne vous crois pas... Toute autre considération à part, dans le débordement d’indignation qui vous entoure, vous n’auriez pas osé !

ALBERT.

J’ai osé !... Pas à l’hôpital, bien entendu, mais chez moi... Je disais qu’au moment de me faire sauter la cervelle, une curiosité folle d’arriver au bout de mon travail avait seule pu me retenir... J’ai travaillé !...

Tirant un papier de son portefeuille.

Voici une note à joindre aux documents que je vous ai remis.

Il lit à haute voix.

« 28 octobre. – Homme de 43 ans, vigoureux, parfaitement sain. Aucune hérédité morbide. À quatre heures du matin, inoculation de dix centigrammes de virus n° 2, à trois centimètres sous le sein droit. À quatre heures cinquante, léger accès de fièvre, avec frisson et nausées... »

MAURICE, lui arrachant le papier des mains.

Donnat, vous êtes tout de môme un rude gredin !

ALBERT.

Mon petit, avant de me condamner, vous oubliez une chose, capitale pourtant...

MAURICE.

Laquelle ?

ALBERT.

L’homme en question, cet individu vigoureux qui sera mort dans un an, eh bien t il est maître de sa peau... S’il me l’a offerte ?...

MAURICE.

Il a consenti ?

ALBERT.

Oui.

MAURICE.

Il sait à quoi il s’expose ?

ALBERT.

Absolument. Il sait qu’avant d’être emporté par une atroce agonie, il se verra tomber en pourriture.

MAURICE.

Il est assez intelligent pour se représenter les choses ?

ALBERT.

C’est précisément son intelligence qui me l’a livré. Il comprend la grandeur de sa résolution.

MAURICE.

Très beau !... Trop beau même !... À votre place, je serais gêné quand il me regarderait en face. La splendide découverte sera votre œuvre à vous seul. Si, dans l’ivresse du triomphe, vous songez à raconter l’héroïsme de cet homme, peut-être aura-t-il son nom dans le Larousse de 1950... Mais ce n’est guère probable !... Les obscurs dévouements disparaissent dans le rayonnement du génie.

ALBERT.

Mon collaborateur a ses raisons pour quitter ce monde sans désirer de récompense.

MAURICE.

Un chagrin ?... Un remords ?...

ALBERT.

Pourquoi pas simplement la passion de savoir ?... Au moment où je lui injectais le poison, j’ai surpris chez lui le sentiment qu’exprimait mon vieux généra !... que j’éprouve moi-même... Il avait peur de mourir avant de connaître dans toute son ampleur la découverte à laquelle il participe.

MAURICE.

En voilà un qu’on peut comparer à vos nénuphars... La tige tendue vers la lumière !... tendue à se rompre !...

ALBERT, avec des larmes dans la voix.

Oui... et lorsque sa tige se rompra, s’il ne trouve vas un soleil... si la nature a mis en lui un impérieux instinct de vérité pour que la vérité suprême ne doive jamais luire à ses yeux, eh bien ! c’est une lâcheté de la nature !

MAURICE.

La nature est lâche !

ALBERT.

Vous croyez ?... Au fait, c’est toujours au plus fort qu’elle donne la victoire.

MAURICE.

Maître !... Vous avez des larmes plein les yeux...

ALBERT, souriant.

La nature qui fait cela !... Mais l’heure se passe, je suis en retard... Je vous enverrai régulièrement des bulletins à joindre au dossier de cet homme. Adieu !

Il s’éloigne rapidement. Maurice, en revenant de la reconduire jusqu’à la porte, se trouve devant Louise.

 

 

Scène VI

 

LOUISE, MAURICE

 

LOUISE, très exaltée.

L’homme qu’il a tué, c’est lui-même.

MAURICE.

Non, voyons !

LOUISE.

Lui !... Ce matin, à quatre heures, au moment de l’inoculation, il était seul !... Et vous avez piétiné sur sa douleur, et vous lui refusiez l’éternité qu’il mendiait avec la mort dans les yeux !l Adieu, je vais rejoindre Albert !

Elle sort.

 

 

ACTE III

 

Salon de Louise, comme au premier acte. À la nuit tombante.

 

 

Scène première

 

LOUISE, EUGÉNIE

 

Louise entre, dans la même toiletta qu’à l’acte précèdent. Au moment où elle arriva par une porte, Eugénie, sa femme de chambre, vient par une notre porte. Au fur et à mesure que Louise se débarrassa de son chapeau, de sa pèlerine, de ses gants, Eugénie les reçoit et les range. Puis, comme le jour baisse, elle allume la lampe et ferma les volets. Tous ces mouvements doivent être terminée avant l’arrivée d’Albert.

LOUISE.

Monsieur n’est pas rentré ?

EUGÉNIE.

Pas encore.

LOUISE.

Il n’est venu personne ?

EUGÉNIE.

Non, Madame... Dieu merci, nous n’aurons pas la police tous les jours !... Hier, je revenais justement de rendre la robe violette à la couturière, et voilà qu’au moment où je sonnais, c’est un agent qui m’ouvre la porte... J’en ai eu un battement de cœur...

LOUISE.

Pas de lettres ?...

EUGÉNIE.

Je n’ai rien vu... Les journaux sont dans le cabinet de Monsieur ; Madame veut-elle que j’aille les chercher ?

LOUISE.

Volontiers...

EUGÉNIE.

Comment Madame s’habillera-t-elle pour dîner ?

LOUISE.

Je ne changerai pas de toilette.

EUGÉNIE.

Madame fait bien : elle a l’air si fatigué !

LOUISE.

Ah ! j’oubliais !... Une jeune fille doit venir demeurer chez nous ce soir... Il faut avertir Baptiste de mettre son couvert... Où la logerons-nous ?

EUGÉNIE.

Il y a la chambre derrière la salle à manger...

LOUISE.

C’est si petit !... On manque d’air... Pourquoi pas la chambre bleue ? 

EUGÉNIE.

Ce sera tout un déménagement !... Il y a dedans une montagne de cartons et de vieilleries.

Albert entre.

LOUISE, à Eugénie, lui faisant signe de sortir.

C’est bon !... Dans un instant, j’irai voir.

Eugénie sort.

 

 

Scène II

 

LOUISE, ALBERT

 

LOUISE, allant à son mari et cherchant à l’embrasser.

Albert !...

ALBERT, la repoussant doucement.

C’est bien !

LOUISE, prise de timidité.

Tu me repousses ?

ALBERT.

Le mieux est de ne pas s’occuper de moi.

LOUISE.

C’est que... Vois-tu, je voulais, te dire...

Elle fond en larmes.

ALBERT.

Oh ! je t’en supplie ! pas de scènes !... Si c’est pour demander quelque chose, accordé d’avance... Tout ce que tu voudras pourvu que j’aie la paix !

Il se jette dans un fauteuil avec accablement.

Chienne de journée !

LOUISE.

Quoi ?... De nouveaux ennuis ?

ALBERT.

Bah !...

LOUISE, amicalement.

Voyons, raconte... Où es-tu allé ?

ALBERT.

À l’Académie.

LOUISE.

Tu es sorti vers une heure, et l’Académie n’est qu’à trois heures... Qu’as-tu fait d’abord ?

ALBERT, impatienté.

Une visite à Maurice Cormier... Là !... es-tu contente ?

LOUISE.

À Maurice Cormier ?... En quel honneur ?

ALBERT.

J’allais lui porter un papier et lui poser une question.

LOUISE.

Le papier ?...

ALBERT.

Une note à joindre au dossier secret ; la plus curieuse de toutes.

LOUISE.

Et la question ?...

ALBERT.

Une idée qui m’a passé par la tête.

LOUISE.

Oui, mais laquelle ?

ALBERT.

Je m’aperçois, avec une surprise peut-être naïve, que le développement intellectuel d’un homme influe médiocrement sur sa vie. Un savant imagine de profondes raisons pour expliquer sa conduite, un charretier suit son instinct, et ils font l’un et l’autre à peu près les mêmes choses. Hier, lorsque tu m’as reproché mon crime, je me suis défendu, et bien défendu... je veux dire que mes excuses n’étaient pas de simples prétextes. Il y a certaines cruautés que j’ai le droit d’exercer pour un but supérieur, j’en suis convaincu. Eh bien ! ma raison a beau m’absoudre, j’ai des remords, comme un voleur de grands chemins qui a tordu le cou d’un passant. À quoi bon mesurer la portée de ses actes avec une intelligence de savant, si  on doit les déplorer avec une conscience de charretier ?

LOUISE.

C’est cela ta question ?

ALBERT.

Pas tout à fait... La voici... Pourquoi un savant, qui ne croit ni à Dieu, ni à l’âme immortelle, donnerait-il sa vie pour son prochain ?... Cela se comprend d’un brave imbécile qui compte être récompensé au ciel, ou d’un ignorant qui n’a pas la foi, et auquel les préjugés et l’atavisme imposent, sans qu’il s’en doute, le joug de la foi. Mais moi, par exemple, qui ai fait de mon existence un rêve studieux sans lendemain, quel motif puis-je avoir d’interrompre ma contemplation pour des êtres bornés, que je méprise ?... Mon devoir évident n’est-il pas de conserver à l’espèce humaine un type d’élite, une lumière, un phare ?... Se sacrifier, soi savant, à un ignorant, c’est voler la société !...

Avec un rire nerveux.

Donc, si dans mon cœur je trouve un impérieux besoin de donner ma vie pour quelqu’un, il faut résister. Hein ! n’est-ce pas, c’est clair ?

LOUISE.

Qu’a répondu Maurice Cormier ?

ALBERT.

Je ne lui ai pas posé la question.

LOUISE.

Ah...

ALBERT.

Il est si loin de mes préoccupations !

LOUISE.

Tu m’as fait toi-même une belle réponse lorsque tu t’es peint traversant les salles de pestiférés, fier de promener au milieu d’eux ta science comme une divinité bienfaisante devant laquelle les moribonds se relèvent guéris ; respirant à pleins poumons cet air mortel parce que tu es avec ton idole... Si tu tombes écrasé sous les roues de son char, ton fanatisme en sera glorieux.

ALBERT.

Tout cela n’est beau qu’en théorie... Ou plutôt, non... Tout cela est vrai... Absolument vrai... Je ne‘ puis pas renoncer à le croire !... C’est la foi de toute mon existence !... Je le répète, il y a contradiction entre ce que je pense et ce que je souffre... On est parqué dans une humanité qui aime et qui pleure, forcé d’aimer et de pleurer avec elle.

LOUISE, cherchant à l’embrasser.

Tu es dans un jour où l’on pleure !...

ALBERT, se dérobant.

Ne crains rien, je suis de force à tenir le coup...

LOUISE.

Laisse-moi partager ta peine... Pourquoi ta question que tu n’as pas posée à Maurice, cette idée d’un sacrifice qui s’impose à l’homme supérieur et qui ne s’explique pas, est-elle toujours sur tes lèvres ?... Dis-le-moi...

ALBERT.

Bah !... Ce ne sont pas des histoires pour les femmes !

LOUISE.

Je comprendrais mieux que Maurice... Repose-toi sur mon cœur de femme ignorante, en oubliant un peu ton idole. Elle t’a trahi toute la journée, je le devine. À tes cris de détresse elle répondait par des dissertations pédantes...

ALBERT, très hautain.

Je te défends de tourner en ridicule ce que je respecte... Brisons là-dessus.

LOUISE.

Ne sois pas fâché !... Si tu savais comme je suis malheureuse de me trouver tout à coup si gauche... moi qui cherche au contraire à te dire...

ALBERT.

Dis-le donc !

LOUISE.

Albert, tu as parlé de me rendre ma liberté... Je la refuse... je veux être ta femme.

Elle l’embrasse.

ALBERT, sans se laisser aller i l’attendrissement.

Merci, Louise !... Mais, avant d’accepter, je dois t’apprendre de mauvaises nouvelles... Le doyen de la Faculté m’a prévenu que les étudiants sont très montés contre moi... Il y aura du tapage à mon cours... On est d’avis qu’au lieu de tenir tête à l’émeute, ce qui est dans mon caractère, mieux vaut m’absenter pendant quelques mois, quitte à revenir lorsque les esprits seront pacifiés... Bref, en termes fort polis, je suis invité à prendre un long congé... Pour des raisons que je ne veux dire à personne, pas même à toi, ce congé sera définitif... Je donne ma démission... de tout... Plus d’école, plus d’hôpital... Tu vois que ta générosité t’entraînerait trop loin... Mon départ est un aveu... J’achève de me perdre dans l’opinion... Je suis un homme fini.

LOUISE.

Que vas-tu faire ?

ALBERT.

Quitter Paris, chercher une maisonnette bien retirée, et y achever mes jours.

LOUISE.

Je te suivrai.

ALBERT.

Allons donc !... Toi qui gémissais lorsque je t’emmenais pour quelques semaines à la campagne !... Ce matin encore, tu hésitais à rester avec moi, ici, au milieu des tiens, et tu veux partager un tête-à-tête qui peut durer toujours avec un réprouvé ?

LOUISE.

Oui.

ALBERT.

Hier, c’était une autre chanson !... Ta conscience t’a donc fait des reproches ?... Ma foi, je t’en félicite, car je n’avais pas été très édifié de ton entrain à me jeter par-dessus bord. Ce que j’ai été sur le point de couper court à tes hésitations en te tournant le dos !... Mais une autre solution se présentait... définitive aussi... Va, que tu m’abandonnes ou que tu m’accompagnes, la différence n’est pas grande. Décide selon tes goûts. Tu montres enfin du cœur, on te tient quitte du reste.

LOUISE.

Quelle solution as-tu adoptée ?

ALBERT.

Tu la connaîtras toujours assez tôt.

LOUISE.

Albert, je la connais !

ALBERT, incrédule.

Oh ! oh !

LOUISE.

J’étais chez Maurice... j’ai tout entendu... j’ai mieux compris que lui.

ALBERT, froidement.

Dis nettement ce que tu as compris.

LOUISE.

Tu as répété sur toi-même l’expérience dont va mourir cette pauvre enfant.

ALBERT.

Ainsi voilà pourquoi tu restes ! Parce que ce ne sera pas long !

LOUISE.

Je t’aime !... Voilà ce qui me ramène à toi !... Mais sil Albert, il faut le croire !... Ah ! je comprends que tu aies des doutes, et je les mérite ! Pourtant, je te jure, mon cœur est tout à toi. Il t’appartient depuis que tu es mon mari, et tu l’as fait beaucoup souffrir ! Ce n’est pas de ta faute... Tu étais bon... Tu n’as jamais eu la volonté de me blesser, je le sais bien... et cela était !... Tu as l’air surpris... Tu n’admets pas qu’auprès d’un camarade affectueux et fidèle on souffre !... Réfléchis à ce que nous étions... Tu te plains de mesurer la portée de tes actes avec une intelligence de savant, pour les déplorer ensuite avec une conscience de charretier... Eh bien ! c’est le charretier seul qui me prenait dans ses bras ! Lorsqu’il cédait la place à l’être supérieur que j’adorais, je n’existais plus, je ne comptais plus !... Tu devrais pourtant te figurer ce que c’est qu’un pareil abandon, toi qui, toute la journée, viens de crier ta détresse à Maurice sans qu’une de tes paroles soit allée à son adresse... Ah ! j’en ai jeté, moi aussi, de douloureuses prières dans l’oreille d’un sourd !... Enfin, lassée, j’ai gardé le silence ; mais d’apprendre à se taire ne console pas !... Il y avait des moments où je te détestais, d’autres où j’éprouvais des besoins de révolte... Le seul sentiment qui ne cessait jamais de m’enchainer à toi, c’est le respect... Hier, je l’avoue, j’ai été lâche ! Ce sera le remords de toute ma vie ! Mais aussi j’avais été si malheureuse à tes côtés qu’il m’était trop facile de te regarder comme un bourreau. Lorsque je t’ai découvert meurtrier de cette jeune fille, je n’ai plus voulu voir en toi qu’un bourreau ! Et alors, oui, j’ai voulu ma liberté, et le premier usage que j’en ai fait, pauvre sotte gonflée de sentiments incompris, a été de courir chez Maurice... Je croyais qu’on va chez les psychologues pour être comprise, comme on va chez les bijoutiers pour être parée !... Mais, tout de même, ce que j’allais chercher là-bas, je l’ai trouvé : j’ai été comprise, non par le psychologue, oh ! non, mais par moi-même, en découvrant que je t’aime plus que jamais !

ALBERT.

Dis-tu vrai ?

LOUISE.

Mais que faut-il pour te convaincre ? Veux-tu ma vie ? Veux-tu me traiter comme Antoinette, comme toi-même ? Va donc ! Crible-moi de piqûres mortelles ! Attache-moi toute sanglante sur une table d’agonie comme ces chiens qui râlent dans ton laboratoire. Plus tu me briseras, plus je serai contente... Je donnerais ma dernière goutte de sang pour un regard de toi qui m’admirerait un peu !

ALBERT, se jetant dans ses bras.

Louise !... Ah ! ma chère femme !...Toute une vie passée auprès de toi sans te connaître !... Qu’il faut donc payer cher le peu que nous savons !... Tous les mêmes : Maurice, moi, des gens qui contemplent de haut l’humble humanité, nous ne voyons pas ce qu’un enfant verrait... Notre œil est adapté aux choses lointaines, et ce qui frémit tout proche du cœur, ce qui sanglote à l’oreille, un mur nous en sépare... Pourtant nous ne sommes pas à l’abri du chagrin. Nous avons souvent besoin d’une poitrine de femme contre laquelle pleurer ! Car je pleure. Il n’est plus question d’orgueil entre nous, n’est-ce pas ? Je puis tout dire ! Cette journée est atroce !... Un être s’agite en moi, qui se débat, qui meurt, et je ne le comprends pas ! Il m’ordonne le sacrifice, je trouve le sacrifice une chose monstrueuse, et je me tue !... Ma fin est idiote !... Tomber en martyr quand on n’a pas la foi !... Parader devant le néant !...

Eugénie entre.

 

 

Scène III

 

LOUISE, ALBERT, EUGÉNIE

 

EUGÉNIE.

La jeune fille qui doit demeurer ici...

LOUISE, à Albert.

C’est Antoinette... J’ai vu sa supérieure dans la journée...

EUGÉNIE.

Madame avait promis de venir examiner dans quelle chambre on logera cette demoiselle...

LOUISE.

Faites-la entrer, je vous rejoins à l’instant.

Eugénie sort.

 

 

Scène IV

 

LOUISE, ALBERT, ANTOINETTE

 

LOUISE, embrassant Antoinette.

Mon enfant, soyez la bienvenue.

ANTOINETTE, s’adressent à Louise et à Albert.

La mère supérieure m’a recommandé de vous remercier encore au nom du couvent...

LOUISE.

Mon Dieu, elle m’a déjà remerciée plus qu’il ne fallait !... Je vais m’occuper de votre logement... Toute ma journée a été tellement prise ! À bientôt !...

Elle sort.

 

 

Scène V

 

ALBERT, ANTOINETTE

 

ANTOINETTE, allant à Albert.

Monsieur, je voulais vous dire... Cet après midi, j’ai été questionnée...

ALBERT.

Par qui ?

ANTOINETTE.

Par la mère supérieure.

ALBERT.

À quel sujet ?

ANTOINETTE.

Au sujet des soins que vous m’avez donnés à l’hôpital.

ALBERT.

Eh bien ! vous lui avez rendu bon témoignage, j’imagine, puisqu’elle vous laisse entre mes mains ?

ANTOINETTE.

Soyez tranquille, monsieur le docteur !... Mais, d’après le peu qu’elle m’a dit, j’ai compris...

ALBERT, avec impatience.

Allez donc !...

ANTOINETTE.

Que l’on vous accuse... Est-ce mal d’en parler ?...  Je suis si tourmentée !

ALBERT.

C’est stupide d’être allé vous faire peur !

ANTOINETTE.

Oh ! ce n’est pas pour moi que j’ai peur !... Une fois déjà, la sainte Vierge m’a sauvée... Elle peut me guérir encore !... Y a-t-il danger que l’on vous arrêt ?

ALBERT.

Des imbéciles ont répandu ce bruit... N’y croyez pas.

ANTOINETTE.

Quel bonheur !... Je serais tellement désolée s’il vous arrivait la moindre contrariété !... Les religieuses ont eu bien soin de moi, et, malgré cela, depuis que je suis née, vous êtes la première personne qui ait songé à me faire plaisir... À l’hôpital, vous restiez des dix minutes à bavarder près de mon lit... Et les oranges et les bonbons que vous m’apportiez ! Ce n’est pas que je sois gourmande... Mais un homme comme vous, qui a tant de choses à penser !...

ALBERT.

C’est pour me raconter toutes ces balivernes que...

ANTOINETTE.

Voilà !... Vous grondez dès qu’on dit que vous êtes bon !...

Baissant la voix.

Vous êtes si bon que vous avez du chagrin à cause de moi... Je l’ai parfaitement remarqué hier, lorsque je vous ai fait voir cette rougeur...

Elle porte la main à sa poitrine.

ALBERT.

Vous avez mal remarqué...

ANTOINETTE.

N’essayez pas de me tromper... Un jour... j’étais si faible... comme morte... Vous avez dit aux internes : « Pauvre petite Antoinette ! avant la fin de la semaine, elle aura vu les splendeurs de son Paradis !... » Après la visite, vous êtes revenu seul, et vous m’avez fait une piqûre là où j’ai mal maintenant...

ALBERT.

Alors, vous...

ANTOINETTE.

J’avais ma connaissance, mais je ne bougeais pas... J’ai eu l’idée, tout de suite, que vous tentiez quelque chose de hardi... À présent que la mère supérieure a prononcé le mot, je me rends bien compte de ce que vous avez essayé... Nous avions une sœur qui est morte de cela vers Noël... Il fallait, pendant les derniers jours, beaucoup prendre sur soi pour l’approcher...

Un silence.

ALBERT.

Comment appelle-t-on les gens qui font ce que j’ai fait ?

ANTOINETTE.

Comment ?...

ALBERT.

Assassins, n’est-ce pas ?...

ANTOINETTE.

Je savais bien que vous avez du chagrin ! Il ne faut pas !... Vous m’auriez proposé ce qui est arrivé, j’aurais consenti tout de suite... Me croyez-vous donc trop sotte pour comprendre que mon mal peut amener à guérir une foule de gens ? Je voulais être sœur de charité, et consacrer ma vie aux malades... Eh bien ! je livre ma vie en gros, au lieu de la donner en détail...

ALBERT.

Il n’y a pas que les sœurs de charité qui savent mourir proprement !

ANTOINETTE.

Les savants aussi !...

Elle se jette aux genoux d’Albert.

Quand j’ai appris que l’on vous accusait, je me suis dit aussitôt : « Si on l’empêche de continuer ses expériences, il les achèvera sur lui-même !... » Ne faites pas cela, monsieur le docteur !... Vous m’avez pour vos observations...

ALBERT.

Tu t’es dis cela, toi ?... Tu n’as pas pensé : « Il se tuera pour se punir » ?...

ANTOINETTE.

Oh !... se suicider !... Enlever du monde quelqu’un comme vous, à cause d’une pauvre fille qui sait à peine lire !

ALBERT.

J’en ai eu envie, pourtant !... Si ta me vois encore vivant, c’est que je me suis accordé quelques jours de répit pour connaître la fin de mes travaux. En somme, une curiosité comme celle-là est pardonnable !

ANTOINETTE.

Ah ! Monsieur, je crois bien, puisqu’elle sauve des gens !... Vous parlez comme un criminel : c’est seulement si vous n’achevez pas vos travaux que vous le serez !... Vous êtes fait pour étudier... Vous n’avez malheureusement pas de religion, c’est ce qui vous oblige à tant réfléchir pour être bon... Moi, si je n’étais pas pieuse, qu’est-ce que je vaudrais ?... Vous avez l’air étonné que je sois prête à mourir... Je le suis parce que Jésus-Christ a été crucifié pour le genre humain et que je regarde comme un honneur d’être traitée un peu comme lui...

ALBERT.

Ah ! quel bien tu me fais !... Avec toi, je n’ai pas à renier mon idole !... Tu ne me la montres pas ridicule et pédante !... Antoinette, tu ne seras ni timide ni gauche, si je t’annonce la résolution que j’ai prise... Nous pourrons en parlera l’aise, puisque tu viens de l’indiquer de toi-même... Ce matin, je me suis inoculé le mal dont tu mourras... Désormais, je vais vivre double... vivre triple !... Jusqu’à ma convulsion suprême, j’épierai nos deux agonies... Tes yeux brillent !... Ah ! tu es bien de ma race, toi !... D’où vient ce quelque chose qui élève le plus humble au niveau du plus savant ?

ANTOINETTE.

Du bon Dieu, Monsieur !

Louise entre.

 

 

Scène VI

 

ALBERT, ANTOINETTE, LOUISE

 

ALBERT, montrant Antoinette.

Elle sait tout !

LOUISE.

Elle te pardonne ?

ALBERT.

Le mot « pardon » n’a pas même été prononcé. Elle arrive avec une simplicité magnifique au point où ma science n’a pu me conduire qu’au prix d’efforts surhumains : donner généreusement sa vie. Vois-tu, la plus merveilleuse invention trouvera toujours des contradicteurs, mais que je retire de la rivière, au péril de mes jours, quelqu’un qui se noie : riches et pauvres, intellectuels, ignorants, positifs et sentimentaux m’acclameront... Il y a donc une qualité d’actes dont la beauté nous attire tous !... Le voici, l’élan de l’humanité entière vers un soleil unique !... Je le cherchais où il ne fallait pas, dans les cerveaux, et je le trouve dans les cœurs !... Il y a un instant, je frémissais de rage contre ce je ne sais quoi d’aveugle qui m’obligeait à mourir, et je répétais avec notre ami Maurice : « La nature accueille ton héroïsme par une lâcheté !... » C’est bientôt dit !... La nature est-elle donc si lâche ? La loi du plus fort régit les corps, soit ; mais les esprits ?... Le plus grand symbole qui ait pu s’imposer à eux, n’est-ce pas un instrument de torture : la croix ? Quelle est donc la puissance assez forte pour que les yeux du monde entier soient fixés sur elle dans un désir d’immolation ?... Toute marée dénonce au delà des nuages un astre vainqueur ; l’incessante marée des âmes est-elle seul à palpiter vers un ciel vide ?

LOUISE.

Albert, tu crois en Dieu !

ALBERT.

Je ne crois pas en Dieu, mais je meurs comme si je croyais en lui... Voilà d’où me vient la paix ! Ma force, c’est d’être compris par cette petite sainte ! Mon salut, c’est qu’une pauvre ignorante me prenne par la main pour me guider vers on ne sait quelle splendeur. Tu vois, j’ai pris mon parti de penser comme un illustre et d’agir comme le premier brave homme venu .C’est incohérent, mais viendra-t-il jamais, le jour où l’on pourra, en ne suivant que sa pensée, aboutir à toutes les grandeurs morales ? Pour le moment, l’intelligence a sa logique, et l’âme, ce je ne sais quoi qui dépasse ma compréhension, mais qu’Antoinette définirait à l’instant, l’âme aussi à la sienne, très différente de l’autre. Oui, lorsqu’il, s’agit de ne pas crever comme un chien, mais de finir noblement, c’est encore auprès des humbles qui adorent Dieu, et des cœurs ardents qui aiment avec ton héroïsme, que les philosophes ont à chercher des leçons de logique.

LOUISE, se jetant dans ses bras.

Comment ! tu parle ? d’apprendre quelque chose, de nous !... Albert, je vais donc pouvoir vivre avec toi dans l’union que j’ai toujours rêvée ? Il n’y a plus de barrière entre nous !

ALBERT, se dégageant.

Plus de barrière !...

Montrant se poitrine à l’endroit de l’inoculation.

Tu oublies !...

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